Porté par l’association TNTB, le festival d’arts numériques DataBit.Me a clôturé sa 6ème édition en ce début novembre sur de nombreuses performances, dans un joyeux capharnaüm high-tech. Seul évènement de ce type sur la ville d’Arles, DataBit.Me est tout à la fois un lieu de rencontres, d’expositions, de live-sets, mais aussi de pratiques et d’expérimentations.
Centré sur la technologie et ses codes (au propre comme au figuré), ou plus exactement sur la mise en question des techniques du numérique et du digital, DataBit.Me consacre une large part de sa programmation à des ateliers animés par des « musiciens-bidouilleurs » et des « artistes-geeks », et à la restitution de projets développés dans le cadre de résidences (dont certaines en partenariat avec le Zinc à Marseille).
Pour cette édition 2016, le mot d’ordre était « énergie ». Énergie fossile, énergie nucléaire, énergie renouvelable… Cette thématique entre, évidemment, en résonnance avec la problématique du réchauffement climatique et des conséquences socio-économiques que cela induit. L’idéal pour questionner la technologie, la détourner, tenter des alternatives low-tech, tester des prototypes « sous tension » …
Symbolant cette démarche en lien avec ce thème, Le Cénographe présentait à la Galerie Huit une vidéo rétrospective de l’électrification du territoire, de l’immédiat après-guerre à la nucléarisation des années 70s, au travers d’extraits de vieux films institutionnels. Une propagande pour le tout électrique orchestrée par EDF qui souligne, en creux, l’engrenage infernal de cette dépendance énergétique.
Pour visionner ce montage, le spectateur était invité à pédaler sur vélo d’appartement trafiqué, le Cycloproj’, qui fournit ainsi une partie de l’énergie pour piloter cette « vidéo-installation interactive ». La vitesse et le rétro-pédalage permettant aussi de moduler le déroulé des images, même si ce n’est pas forcément le but premier. La bande-son électronique pouvant être « customisée » par des percus rudimentaires; un rondin de bois mis à disposition du public.
Le camp de base du festival était établi à la Bourse du Travail d’Arles. C’est là qu’a eu lieu l’essentiel des interventions et restitutions des résidences. Celle de Marcel-li Antúnez Roca, lors de la soirée de clôture, nous a littéralement embarquée. Sous forme de « conférence performée », après avoir retracé son parcours, cet artiste qui a fait ses premières armes au sein de La Fura dels Baus s’est mué en conteur 2.0, brodant tout un délire autour de la théorie de la transpermie (des spores sont à l’origine de la vie sur terre, et l’humanité est promise elle-même, à terme, à repartir dans les étoiles…).
Harnaché dans une armature métallique aux multiples ramifications et dispositifs qui le transforme à moitié en cyborg (en jupette, qui plus est ;), Marcel-li Antúnez Roca commande ainsi des dessins, animations et incrustations dans le décor en carton d’une histoire peuplée d’un étrange bestiaire. Une histoire abracadabrantesque, et parfois un peu scato, qui réveille en chacun de nous le rêveur aux étoiles qui sommeille… Sachant qu’il s’agit d’un work in progress, que la forme définitive de cette histoire n’est pas encore fixée.
Concernant le volet musical du festival, on zappe sans regret les formations embourbées dans un style régressif et potache) — que ce soit version elektro synth-pop ou punk-rock métallo (pour schématiser) — limite hors sujet à notre avis. Question de génération sans doute… Bololipsum, par contre, nous a pleinement convaincus. Recyclant habilement vieux claviers, consoles et autres Dictée Magique, ce musicien-hacker échappé du circuit bending délivre de la « toy music » du meilleur effet, c’est-à-dire qui allie les sonorités 8-bit à un canevas rythmique bien groovy.
Dans un registre différent, plus sombre et chaotique, il faut aussi citer les explorations « vidéo-graphiques » de Zofie Taeuber et Miyö van Stenis. Sans oublier le trio infernal Trioskyzophony qui se démarque nettement de ce qui se fait habituellement dans le genre human beatbox, en tout cas lors de leurs performances improvisées pour DataBit.Me, où ils ont prouvé à de nombreuses reprises que cet exercice de style maniant effets de voix et machines (loops, etc.) peut s’avérer bien deep et hypnotique, hors des chemins balisés du hip-hop.
La suite, l’année prochaine… En attendant, on ne peut que saluer la pugnacité de David Lepolard et son équipe pour ce travail de « passeur numérique » sur l’agglomération d’Arles. En espérant que le festival DataBit.Me puisse gagner dans un futur proche l’ampleur qu’il mérite.
Laurent Diouf