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    Albertine Meunier

    Circulez, y’a tout à voir et rien à vendre

    Avec ses pièces ironiques, l’artiste française Albertine Meunier nous oblige à décaler le regard, en introduisant un grain de sable dans les rouages numériques les plus huilés, Google en tête. Elle a ainsi transformé les ready-mades de Duchamp en œuvres de la période Net-Art sur le moteur de recherche hégémonique (Les Dessous de L.H.O., 2013-2014). Une actualisation très dadaïste qu’elle détaille ici.

    Les Dessous de L.H.O., Albertine Meunier. Livre édité en 404 exemplaires.
Tirages certifiés L.H.O.O.Q c’est du Net Art!, édition en 3 exemplaires. Photo: D.R.

    Depuis le 27 juillet 2013, Albertine Meunier détourne Google avec un « Ready Made Hack », Les Dessous de L.H.O. : l’internaute qui lance une recherche sur une œuvre de Marcel Duchamp découvre que cette pièce est affiliée à la période « net-art ». Duchamp a beau être le père de l’art contemporain, il n’a pas vécu l’arrivée d’Internet ! Grâce à ce détournement sémantique du Knowledge Graph de Google, sont ainsi estampillés « net-art » la Fontaine (l’urinoir renversé), la Roue de bicyclette, Nu descendant l’escalier ou encore le Porte-bouteille… sans que le géant américain y trouve à redire.

    Comment expliquer que Google n’ait rien fait pour empêcher le Ready Made Hack de Duchamp depuis plus d’un an maintenant ?
    J’apparais très ouvertement dans la liste historique des changements, ils ne peuvent pas ne pas savoir ! D’autant qu’il y a eu médiatisation : j’avais communiqué sur Les Dessous de L.H.O. pendant la FIAC, la foire d’art contemporain de Paris à l’automne 2013, et j’ai fait un appel au financement participatif avant l’été pour réaliser un livre documentant cette intervention, lequel livre vient de sortir et s’expose un peu partout. Peut-être que Google le laisse comme une transformation duchampienne ? (rires) Un grand nombre de personnes m’ont dit : pourquoi tu fais ça sur Duchamp, qui n’intéresse personne, si tu le faisais sur un politique, tout le monde en parlerait. Ça souligne parfaitement ce que je voulais pointer, que Google s’intéresse plus à la culture LOL qu’à l’art, en tout cas à ce symbole de l’art du XXème siècle qu’est Duchamp.

    Confronter l’art duchampien à Google, c’est montrer que le géant surpuissant ne l’est pas tant que ça ?
    Google revendique de porter toute la connaissance humaine, mais il n’est pas vigilant ! Il ouvre un institut culturel en France pour sa bonne conscience, mais il ne connaît pas les fondamentaux en art ! Mon petit hack montre son ignorance patente, tout en soulignant les visées prétentieuses de Google. Mais quand on est prétentieux, il faut être à la hauteur de la situation ! Et je voulais aussi montrer que les choses dans l’univers numérique ne sont pas forcément telles qu’elles sont, a priori acceptables, impossibles à critiquer. On peut penser le Knowledge Graph de façon critique et renverser la figure d’autorité du moteur de recherche.

    Encore plus si la figure d’autorité « dévalue » l’importance de Duchamp. Peut-on y voir aussi une critique du marché de l’art ?
    En 2009, je m’étais intéressée au marché de l’art, avec Mona LHO, un ready-made Internet connecté par excellence. J’avais trouvé un beau cendrier porte-cigarettes, avec la figure de la Joconde dessus, je l’ai connecté à l’indice Artprice, en l’occurrence l’index AMCI (Art Market Confidence Index), qui ne donne pas la cote de tel ou tel artiste, mais l’indice de confiance du marché de l’art (de – 40 à + 40). Je récupère cette valeur et je l’affiche au socle de Mona LHO, pour montrer qu’on peut prendre n’importe quel objet et le connecter dans l’absolu (comme Duchamp), en faire un ready-made connecté. C’est aussi un clin d’œil sur cette valeur qui fait office de bonne santé du marché, placée dans le cendrier.

    Est-ce une critique de la place de la spéculation dans l’art ?
    Je l’ai toujours vu positif, cet index, jamais négatif. N’est-ce pas étrange que cet indice n’aille jamais en dessous de zéro ?

    Les Dessous de L.H.O., Albertine Meunier. Livre édité en 404 exemplaires.
Tirages certifiés L.H.O.O.Q c’est du Net Art!, édition en 3 exemplaires. Photo: D.R.

    Le message caché, ce serait soyez détachés de ces contingences mercantiles ?
    C’est bien d’acheter des œuvres, mais acheter de l’art sur le marché, ça n’a plus de sens ! J’en achète en tant que collectionneuse parce que j’aime l’art, mais le marché spéculatif tue l’art : la cote n’a plus de sens, c’est même contre-productif pour les gens qui veulent collectionner dans la mesure où ça vous met à distance de l’art. Un grand nombre de pièces deviennent inaccessibles, notamment parmi les artistes contemporains. Personnellement, je n’achète pas pour placer mon argent…

    C’est une critique de l’argent ?
    Oui de l’argent dans son aspect spéculatif ! Parce que cet objet que j’ai trouvé dans une brocante à Montrouge, c’est Mona Lisa, c’est un objet tout prêt, je n’ai rien fait sur l’objet lui-même. Alors, est-ce que c’est de l’art ? C’est pour moi bien plus une poupée gigogne, un objet à rebonds. C’est un des objets que je n’ai pas envie de vendre !

    Pourquoi ?
    Pour moi, il n’a pas de valeur, ou plutôt il a trop de valeur ! La valeur que j’y mets est tellement forte que je le garderai bien jusqu’au bout de ma vie. Comme je n’ai pas besoin de l’argent de la vente de mes pièces pour vivre [Albertine est ingénieure en R&D chez un grand opérateur, NDLR], je ne suis pas obligée de les vendre. Du coup, j’ai imaginé un autre système, en les confiant à des personnes, comme un viager. Je les laisse en viager, à charge pour la personne de s’engager à les soigner.

    Tu t’exclues du marché ?
    D’une certaine forme spéculative, oui. La vraie liberté de l’artiste, c’est de ne pas subir la dépendance marchande pour ne pas avoir à produire les seules choses qui se vendent. Le modèle actuel des galeries est obsolète. Avant, une galerie prenait un artiste sous son aile, prenait en charge sa production, ce qui permettait à l’artiste d’avoir une sorte de revenu universel. Ce n’est pas évident aujourd’hui de garder une marge de liberté, car il faut quand même que les pièces soient quelque part, pas dans des cartons !

    Et le choix des personnes à qui tu vas confier tes pièces en viager, c’est selon ton bon plaisir ?
    Oui, c’est le luxe non ? (rires) Le but c’est que ça circule. Vendu ou pas, peu importe !

    propos recueillis par Annick Rivoire
    publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / fév. 2015

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