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    Alex Augier

    p(O)st

    La nouvelle performance d’Alex Augier s’inscrit dans le sillage ses précédentes réalisations, end(O) et ex(O), en mettant également en œuvre une diffusion mutiphonique et un dispositif circulaire. Visuellement p(O)st nous immerge dans un tourbillon de formes, de filaments et de couleurs. Musicalement, on y retrouve un son spatialisé, basé sur les techniques de sampling et de looping, d’obédience « techno-tronique » avec des accents mélodiques. Très attaché à la scénographie, Alex Augier veille à la correspondance de l’audio et du visuel. Décryptage.

    Comment as-tu conçu p(O)st, et avec quelle intention ?
    p(O)st est une performance AV. Cette simple affirmation définit l’intention principale de mon travail. Selon moi, une performance AV s’inscrit dans un champ de création spécifique. Ce n’est pas celui de la création musicale à laquelle est associée une création visuelle (ou vice-versa) avec ce côté interchangeable, dissociable. La performance AV doit proposer un « objet » cohérent, techniquement et artistiquement, où tous les éléments sont liés de manière définitive. Impossible de soustraire un des éléments sans détruire le projet.
    Dès le départ, je travaille sur une idée audiovisuelle et, non de manière isolée, sur une idée musicale ou sur une idée visuelle. J’utilise un dispositif scénique qui porte cette idée. C’est son seul rôle. Donc, quand je dis simplement que p(O)st est une performance AV, j’exclus tous les projets qui sont, à mes yeux, audio ET visuel comme le VJing, les collaborations entre un musicien et un artiste visuel qui travaille dans une même direction thématique, mais comme cela pourrait l’être d’une scène de cinéma où les deux médias restent interchangeables… Ces projets représentent plus de 90 % de ce qui est présenté comme performance AV. Je n’ai aucun mépris pour ces formes, mais je souhaiterais que le public puisse mieux faire la différence.
    Dans le cas de p(O)st, la principale idée audiovisuelle est celle de la spatialisation audiovisuelle. Je voulais placer, dans un espace donné, des sons et des images. Une synchronisation audiovisuelle temporelle, mais également spatiale. La spatialisation du son est assurée par une couronne de haut-parleurs placée autour du public, et un algorithme de diffusion ambisonique qui permet une synthèse de champs sonore évitant au public d’avoir l’impression que le son vient directement des haut-parleurs, mais semble réellement présent dans le volume défini par cette couronne. Concernant le visuel, j’ai pensé cet écran cylindrique et transparent de 5 mètres de diamètres, car il me permet de placer les images dans l’espace. Une sorte de couronne visuelle. La structure scénique n’est pas un simple élément scénographique, un élément de décor… elle est faite pour porter cette idée de spatialisation mixte. Cette fonctionnalité de la structure est un élément important de mon travail.

    Comme lors de tes précédentes performances, pour ce nouveau projet tu es au centre du dispositif, mais cette fois la structure est élargie et le public peut prendre place tout autour, sans place assignée, tout en conservant de fait une position frontale…
    En parallèle de la spatialisation du son assurée par un système de diffusion multiphonique, le dispositif scénique permet de spatialiser les images dans un espace donné. Ce dispositif doit être installé au centre du lieu pour permettre au public de s’y installer tout autour et profiter ainsi de cette expérience. Comme dans le cas des projets précédents, oqpo_oooo et _nybble_, je suis au cœur de ce dispositif. Simplement, cela me semble être la place la plus pertinente dans le cadre d’une performance. Je fais un tout avec ma création.
    Par ailleurs, je voulais que ce projet soit présenté dans une configuration frontale, c’est-à-dire face au public et non autour de lui. J’ai eu l’occasion d’assister à ce type de spectacle multi-écrans, dit immersif, et je trouve que cela ne fonctionne pas. La raison étant que les champs auditif et visuel sont traités sur le même plan, or ils sont très différents. Le champ auditif est une sphère totale nous permettant d’entendre ce qui se passe derrière nous sans être obligé de nous retourner. Alors que le champ visuel est une demi-sphère nous permettant de ne voir que ce qui est face à nous.
    En général, pendant les premières minutes de ce type de spectacle, le public fait l’effort de tourner la tête pour justement rechercher l’immersion, mais rapidement il adopte une position définitive qui l’amène à suivre naturellement le spectacle de manière frontale. C’est pour cette raison que je voulais placer les images dans un espace « frontal ». Cela semble moins impressionnant, mais probablement plus pertinent. L’écran étant transparent, quelle que soit la position du public, chaque personne peut voir et entendre ce qui se passe au loin, au proche, à droite, à gauche…

    En dehors de cette disposition scénique, est-ce que tu as développé des techniques ou procédés spécifiques pour cette performance ?
    Le projet se veut très « live », c’est-à-dire libre, vivant et organique. Pendant la performance, chaque « impact » audiovisuel est joué. Chaque séquence et transition audiovisuelle est construite. Il y a quelqu’un aux commandes et cela se ressent. Je suis également parti sur l’idée de jouer des boucles audiovisuelles, car cela résonnait parfaitement avec la forme circulaire du dispositif scénique et cela permettait de m’inscrire dans une pratique très répandue de la musique « electro », me donnant une direction musicale claire.
    J’utilise ainsi des samples/boucles musicaux, mais d’une manière très personnelle (il s’agit de samples « maison »). Plus précisément, j’utilise des fragments de samples que je recompose dans le temps, pendant la performance, afin de réaliser de nouvelles séquences (par exemple, un sample est découpé en 16 fragments, chacun de ces fragments de 1/16 est utilisé pour recomposer une nouvelle séquence). Un fragment sonore est lié à une image et ces 2 éléments sont liés à un endroit de l’espace. J’ai programmé dans Max tout ce que j’avais besoin pour ce projet. J’ai un patch Max dédié à la gestion des samples, aux traitements sonores… Ensuite, le son va dans un patch dédié à la spatialisation (j’utilise le Spat de l’IRCAM). J’utilise aussi un patch dédié au contrôle des paramètres visuels. Tout est lié. Le visuel est génératif.
    Le gros du travail a été de programmer l’interface de contrôle : Monome Grid + Monome Arc. L’esthétique de ces machines est en parfaite résonance avec la forme globale du projet ! Le design de ces contrôleurs est très minimal et c’est toute leur beauté. J’ai seulement 4 encodeurs rotatifs et 16×8 boutons rétro-éclairés, mais cependant accès à tous les paramètres du projet (son, spatialisation, image…) ; c’est-à-dire à au moins une centaine de paramètres et ce de manière assez instinctive. J’ai donc fait un vrai travail de design pour obtenir l’ergonomie la plus efficiente possible. Ce travail est en constante évolution, chaque répétition me permettant d’apporter des améliorations (le simple placement d’un bouton par exemple). C’est la partie la plus sophistiquée du projet (malheureusement non visible par le public). J’aimerais la valoriser, car elle montre à quel point tout est parfaitement lié.

    Quelques mots aussi sur le titre…
    La scénographie évoque les techniques de sampling/looping et inscrit le projet dans l’une des pratiques les plus connues de la musique électronique. Mais p(O)st inscrit cette pratique dans un cadre transversal en intégrant images génératives, espace (son et images déployées à 360°), nouvelles manières de jeu (séquençage de fragments musicaux) et intègre une interface avant-gardiste. La transversalité du projet permet de s’émanciper des formes traditionnelles et de créer un espace unique adapté à sa propre diffusion. p(O)st à l’ambition d’aller au-delà. Le jeu graphique du titre qui inclus (O) fait le lien avec mes projets précédents end(O) et ex(O) dont la forme globale est également circulaire. Par ailleurs, ex(O) sera présenté à la Philharmonie de Paris dans le cadre du Grand Soir Numérique de la Biennale Némo, le 7 février 2020.

    Tu présentes p(o)st pour la première fois dans le cadre de Nemo dans quelques jours à la MAC à Créteil. Comment appréhendes-tu l’événement ?
    Je répète beaucoup et ce projet me stresse particulièrement, car je n’ai aucun filet. J’espère que le public comprendra que la musique qu’il entend et le visuel qu’il voit n’ont pas été produits tranquillement en studio, puis simplement diffusés. Mais que j’ai, sous les doigts, un méta-instrument audiovisuel et que la réussite de ma performance a une grande importance dans le rendu définitif.

    Est-ce que tu développes déjà d’autres projets ?
    Je vais travailler, dès le mois de mars 2020, avec Heather Rose Lander, une artiste visuelle basée à Glasgow. Il s’agira d’une performance audiovisuelle (ou audio ET visuelle, car dans le cadre d’une collaboration, il est difficile d’imposer à d’autre l’exigence technique et artistique que j’ai essayé de présenter au début de cet interview). Ce projet sera présenté en première à Londres, en octobre prochain, dans le cadre du festival Sonica.

    La technologie évolue très très vite. Dans l’absolu, en spéculant sur des techniques encore imaginaires, quel dispositif aimerais-tu mettre en place si c’était possible ?
    J’aimerais pouvoir alléger le plus possible (jusqu’à la disparition) tous les éléments techniques nécessaires au projet p(O)st : écran en tulle, vidéo-projecteurs… Ces éléments font malheureusement ressentir leur lourdeur esthétique. La scénographie serait tellement plus belle si on ne sentait pas tous ces éléments structurels. Dans le cadre de p(O)st, j’imagine une sorte d’écran invisible, flottant à 1 mètre du sol, sans aucun élément technique visible (câbles, VP…). C’est ce que j’ai imaginé depuis le début, mais ce n’est malheureusement pas réalisable, notamment en tenant compte de toute la logistique nécessaire à sa diffusion (tout la structure et les 4 VP sont transportables sur un vol régulier par exemple !).

    propos recueillis par Laurent Diouf
    photos : © Alex Augier / Quentin Chevrier

    Alex Augier > https://www.alexaugier.com/

    p(O)st, performance audio-visuelle. Première dans le cadre de la biennale Nemo, le 18 janvier à la MAC, à Créteil > https://www.maccreteil.com/

    ex(O), performance audio-visuelle. Proposée dans le cadre du Grand Soir Numérique de la Biennale Némo, le 7 février 2020 à la Philharmonie de Paris > https://philharmoniedeparis.fr/

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