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    Confusion Technique

    méthode d’hypnothérapie…

    La présence et le développement incessant de la technique dans le domaine musical n’auront échappé à personne, pourtant on peut s’étonner du manque de considération des conséquences sur les contenus, à savoir la tendance normative induite par la généralisation de l’outil informatique comme moyen de production, de diffusion et d’écoute.

    Un mouvement global et profond qui par phénomène de « modélisation » conditionne donc l’ensemble de la filière musicale jusqu’à l’exclusion de facto de certaines musiques. Enfin, au regard du déploiement de nouveaux supports, de l’apparition frénétique de nouveaux produits, du fétichisme du matériel, etc.; on peut se questionner aussi sur la nature de l’écoute et du rapport à la musique…
    Les retours du vinyle ou de la K7, aussi sympathiques puissent-ils être parfois, s’expriment souvent dans une méconnaissance du digital (non, le son CD n’est pas mauvais, des amplis numériques rivalisent avec du matériel à transistors ou à tubes, etc.), mais en plus sont eux aussi encore conditionnés par ce dernier; quand il ne s’agit pas de nostalgie ou d’effets de mode accompagnés d’un fantasme de subversion…
    Si la pluralité des modes de production, de diffusion et d’écoute paraît favorable à une diversité de création (y compris celle de l’auditeur, sa part active), malheureusement elle dissimule aussi à certains égards ces phénomènes de normalisation. Par contre le marché du matériel audio connaît une certaine effervescence… Il n’est pas forcément naturel de payer pour l’acquisition de musiques, mais il est courant d’acheter des casques à 300€ pour écouter du MP3…

    La technique est le facteur dominant de notre société, elle la structure foncièrement (devant l’économique qui en oriente les applications, en accroît certains effets, etc., et le politique). On renverra à Jacques Ellul à ce sujet (il est courant de concevoir plutôt cet ordre d’influences : l’économique, le politique, le scientifique, le culturel). Toute technique inclut du négatif et du positif, mais de sorte qu’il ne soit pas aisé de les séparer.
    Face aux arguments habituels de l’apport de nouvelles techniques audio (l’accessibilité de la production, de la diffusion et enfin des œuvres), il convient de relever en quoi la technique n’a pas que des effets émancipateurs. Comment ne pas voir aussi dans la technique un agent catalyseur de ce flux continu de la machine globale en mode automatique, alimentée de façon ininterrompue par une succession de prétendants interchangeables et leurs musiques d’élevage, et entretenue bien sûr par le marché et les monopoles déguisés de grands groupes ?

    Concernant la production, contrairement à ce que le cadre numérique peut laisser supposer, on soutiendra que faire des « labels » a encore un intérêt aujourd’hui, voire d’autant plus, mais rappelons qu’une telle activité (ou une maison d’édition) quand elle a un profil « artisanal » ne devrait pas exister au regard des systèmes existants. Modèle économique impossible — si tant est que l’on mette un peu de conscience dans les tenants et aboutissants —, quand bien même on trouve des astuces, joue avec les contraintes, intègre la « crise » au projet. Dans ce contexte, les facilités techniques n’ont pas rendu l’exercice plus viable (globalement), ni ne sont gage de qualité de production.

    Évolution maintes fois commentée, une personne seule, sans bouger de chez elle, peut regrouper la chaîne entière d’une production musicale, de la composition à la négociation de droits en passant par le clip promotionnel et la vente au public. Face à la crétinerie des majors, cette facilité du « tout-en-un » est forcément sympathique (cependant les circuits dominants se sont vite adaptés en intégrant aussi cet aspect), mais aussi peut faire oublier l’intérêt des modes collaboratifs inhérents aux anciens processus (ingénieur du son, producteur, arrangeur, etc.).
    On rencontre ici la propension humaine au plus pratique, ainsi que la question de la liberté de création. Mais s’il est possible alors de s’affranchir de la tutelle d’un producteur ou d’un label, on ne subit pas moins les contraintes d’un système technique (et commercial)…
    La production pourra être formatée par les outils utilisés comme par la perspective de la diffusion pratique. Cette conformation — qui peut certes être aussi le fait d’un collectif — du projet aux limites d’un système dominant (compression excessive, etc.) n’est pas forcément consciente…

    Il n’est bien sûr pas question de faire l’apologie du principe de division du travail dont on connaît les horreurs, les fonctions ne doivent pas être étanches — une histoire de dispositions et non d’assignations. Par ailleurs, un auteur seul ne sera pas à l’abri de s’imposer à lui-même une division du travail non dédiée au projet artistique… Les projets doivent définir les systèmes et non l’inverse — ce qui n’empêche pas non plus de jouer avec des conventions en place. Le cinéma abonde d’exemples de producteurs et d’auteurs qui ont fait preuve de compétences propres au champ de l’autre, etc.
    Comme énoncé ailleurs, ce qui fait art est en déplacement permanent et n’est pas le fait des seuls auteurs (questions de liberté). Il est toujours instructif de circuler entre les différents niveaux (auteur, label, distributeur, disquaire…), en essayant par exemple de réviser les fonctions de chaque à la lumière des autres (et d’autres domaines d’ailleurs).

    Du côté des supports d’écoute, contrairement aux idées dominantes le CD est encore aujourd’hui le moyen le plus simple pour écouter de la musique correctement restituée. On retrouve là aussi la propension humaine à la recherche de praticité avant celle du mieux; si ce n’était pas le cas, le MP3 aurait été limité à des usages non musicaux.
    Le « dématérialisé » (qui demande toujours beaucoup de matériel), si toutefois on souhaite une restitution « correcte », accuse encore un écart non négligeable avec la simplicité et la fiabilité d’une installation CD (pour approcher la qualité CD, il faudra se confronter à quelques questions techniques); sachant qu’il faut aussi prendre en compte le coût des œuvres en HD quand par ailleurs l’offre CD à bas prix est infinie. Tout cela bien sûr si l’on est attentif à des choses fines, des œuvres orchestrales, etc. Évidemment avec la pop calibrée pour le MP3 les différences sont moindres…

    Une querelle vinyle/CD d’un autre temps n’a plus lieu d’être; d’ailleurs je n’imagine pas certains projets autrement qu’en vinyle (comme ceux de Vincent Epplay sur notre label) ou certaines musiques (le skweee par exemple). Il conviendra par contre de ne pas comparer le son d’un lecteur CD cheap à une platine vinyle haut de gamme… À bien des égards le CD présente des avantages que l’on n’énumèrera pas tous ici. Par exemple, pour certaines musiques, ne pas entendre le frottement de surface importe plus que l’apport (parfois illusoire) du vinyle. Enfin, observant cette vague du vinyle, on ne compte plus les nouveaux adeptes qui sur les forums dédiés font part de leur désappointement… Bon, le vinyle c’est très bien, il s’agit juste ici de réajuster le débat…

    La dématérialisation pourrait sembler pertinente pour ce qui concerne la chose artistique et la musique… Mais il y a bien encore du matériel, de l’esthétique parasite, etc. Le parti pris de certains projets est plutôt d’intégrer les éléments matériels, de jouer avec plutôt que de les subir par convention. Il n’y a donc pas d’oppositions à entretenir entre les supports; il faut plutôt voir un panel de moyens aux spécificités qu’il peut être intéressant d’explorer et croiser dans des objectifs forcément différents. L’apport du digital étant indéniable au regard du champ d’expérimentations qu’il a ouvert sur des modes de composition, de collaboration, d’échange, d’écoute… Du point de vue du « consommateur », on verra aussi une complémentarité entre les différentes propositions pour différents usages.

    Pour revenir aux questions de restitution sonore, notons qu’il n’est pas inévitable de tomber dans un délire élitiste — d’ailleurs la hi-fi est devenue plus accessible et on pourra énumérer bien d’autres dépenses inutiles, voire destructrices, plus coûteuses au final. Par contre, le fait est que nombreuses musiques sont dénaturées par leur support de diffusion jusqu’à en perdre leur intérêt, leur singularité. Il est arrivé aussi d’entendre une maladresse de jeu ou de composition là où en fait était en cause une faiblesse de restitution sur les attaques ou extinctions de notes…
    Il ne s’agit pas non plus de revendiquer la façon dont une musique doit être écoutée, ni de fantasmer l’œuvre dans son origine immaculée, mais de préciser que ces musiques sont altérées sans que souvent l’on ait le choix ni en ait conscience : on peut choisir de lire un livre par fragments, mais personne ne tolèrerait que l’on distribue un ouvrage avec du vocabulaire modifié ou des phrases manquantes… Or nombreuses musiques n’existent que par support. Alors, si la quête d’un son identique du studio à l’auditeur est utopique (et pas nécessairement souhaitable de plus), on postulera qu’il y a un minimum décent, mais relatif, subjectif, empirique.

    En faisant un effort sur la qualité de restitution on pourrait certainement amener d’autres publics, la musique est d’abord un phénomène sonore et ne pas restituer suffisamment celui-ci dans sa dimension charnelle entraînera l’indifférence de l’auditeur. Face à ces problématiques de qualité sonore, il y a aussi l’option de la production low-fi, en général signe d’une urgence, d’une indifférence au son « propre » ou d’un rejet du numérique, mais cette posture — d’ailleurs à même de générer autant de fétichisme — ne résout pas la question de la restitution : écouter sur un système low-fi ou sur système hi-fi (qui reproduit parfaitement la nature du projet) ?

    Notre écoute est liée à la technique au point de considérer que parfois on écoute plus de la technique que de la musique. Exemple, dans certains concerts la puissance de l’amplification vient compenser la pauvreté de propositions artistiques (et/ou répond à un jeu dominant/soumis loin de questions musicales, à moins que ne s’exprime là une réalité du concert, flagrante dans certains cas) ; on pourrait voir là une attirance insoupçonnée pour le noise vécue par transfert… — comme on parle de tendances sexuelles non assumées vécues par transfert.
    En ce sens la musique noise est une relation pertinente à notre monde, et par cette confrontation directe à la technique, si elle est bien menée, en constitue une conscience esthétique, touchant des zones sensibles que le ronronnement musical dominant n’imagine pas… L’usage de la technique comme (ré)activation de zones sensibles et mentales versus la technique « prothèse » ou « atrophie ».

    Denis Chevalier
    cofondateur et directeur artistique de PPT et du label Stembogen
    > www.e-ppt.net

    publié dans MCD #70, “Echo / System : musique et création sonore”, mars / mai 2013
    > English Version

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