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    Daniel Dendra

    l’architecte et le virage collaboratif

    Daniel Dendra est un architecte et chercheur basé à Berlin. Il étudie les effets perturbateurs des cultures, pratiques et méthodologies de l’open source dans le design contemporain, avec un intérêt particulier pour l’organisation de la pratique architecturale et les nouvelles stratégies de planification des futures mégapoles. Il représente ainsi une réaction dynamique au défi contemporain du design. En 2007, Dendra a fondé anOtherArchitect (aA), un studio de design primé qui se concentre sur des solutions de design durable dans l’environnement bâti. Avant aA, il a travaillé dans divers bureaux d’architectes à Londres, Moscou, Düsseldorf et Rotterdam, comme l’AMO de Rem Koolhaas, Zaha Hadid Architects. De plus, ces dernières années, Dendra a cofondé plusieurs initiatives cruciales dans le domaine du design collaboratif, telles que le réseau de design Open Source OpenSimSim, le prix Cloudscap.es qui récompense des propositions de design durable, la plateforme de design post-tsunami OpenJapan et Future City Lab, l’initiative open-source pour un avenir durable d’ici à 2050.

    OpenPod (modèle) @ 12ème Biennale d'Architecture de Venise

    OpenPod (modèle) @ 12ème Biennale d’Architecture de Venise. Photo: © anOtherArchitect.

    Il est communément admis que la réalisation de type ascendant est une caractéristique majeure de l’architecture. Dans ce domaine cependant, l’Open Source a remis en cause ce principe fondateur en générant des processus de design plus horizontaux : il semblerait que cette nouvelle approche soit mieux adaptée aux contextes informels urbains. À la lumière de votre expérience, pensez-vous qu’une approche open source soit applicable au processus de construction occidental sur-réglementé ? Et, dans l’affirmative, comment procéder ?
    Je pense qu’en Occident en particulier où nous vivons depuis longtemps dans un monde sur-réglementé nous avons pu nous démarquer de ces modèles stricts sans trop de risques. Si vous prenez Berlin par exemple, c’est une ville où des processus de type ascendants non-réglementés et non-planifiés ont formé une nouvelle culture qui a, somme toute, transformé le paysage urbain et créé une identité neuve. La municipalité a conscience des possibilités d’une plus grande souplesse dans l’application de la réglementation en vigueur et a soutenu un processus plus dynamique, tourné vers la croissance urbaine. Peu importe si l’on se place du point de vue de l’Occident, de l’Est, du Sud ou du Nord, à travers le monde, les gens sont généralement fatigués de l’absence de transparence des processus. Ainsi, un processus plus ascendant, ou « horizontal » comme vous le qualifiez, est amené à s’imposer comme l’évolution à grande échelle du futur.

    D’OpenSimSim à FutureCityLab, vous avez généré, avec votre réseau, plusieurs projets axés sur la connaissance ouverte. Vos wikies et plates-formes de partage tendent à définir la norme de pointe, en termes de relations entre la source, l’architecture ouverte et la planification. Ces projets font intervenir des consultants renommés dans tous les domaines de l’architecture et de l’ingénierie. Pourriez-vous définir le cadre général dans lequel votre réseau s’inscrit et la vision opérationnelle qui le sous-tend ?
    Nous expérimentons avec des plateformes et des systèmes différents. Pour Future City Lab, mais aussi OpenJapan, nous avons utilisé un wiki auto-développé sur Drupal. Malheureusement, nous avons subi d’importants problèmes de spam et actuellement nous essayons d’intégrer les médias wiki à nos propres plates-formes. La même chose vaut pour n’importe quel autre système. Puisque tous nos projets sont à but non-lucratif, nous dépendons actuellement de l’aide d’autres communautés. Jusqu’à présent, nous avons bénéficié du soutien de la communauté allemande de Drupal, mais nous envisageons également la participation d’autres développeurs.

    Grâce à votre travail, le scénario émergeant implique des designers engagés dans la création de savoirs et la mise en place de réseaux plutôt que dans le design architectural lui-même. Dans un tel contexte, où les idées et les projets peuvent être transformés, améliorés et continuellement remaniés, quelle valeur attribuez-vous à la paternité du designer ? Si l’on cite Mario Carpo, est-ce que la « propriété du design architectural » traditionnelle est vouée au même destin que l’industrie musicale, les quotidiens imprimés, le fax ou tout ce que l’on pourrait citer comme étant devenu obsolète à l’ère du numérique ?
    La technologie numérique (mais aussi ce que l’on appelle le moment-(inter)NET) a transformé un grand nombre de modèles commerciaux et d’industries fermement établis. La même chose se produira tôt ou tard, à la fois pour l’architecture et les villes, ce n’est qu’une question de temps. L’émergence de fab-labs et de bureaux de prototypage rapide permettra d’accélérer plus encore ce processus. Dans le même temps, nous ne devrions pas nous inquiéter de perdre nos clients ou notre travail, mais devrions être plus progressistes que l’industrie de la musique et considérer les récents développements comme une opportunité. Le système en place, basé sur des industries de la concurrence et de la corruption n’encourage pas à repousser les limites de notre profession.
    Au final, vous gagnez autant si vous vendez votre design 20.000 euros à un client ou 5 euros à 4.000 clients. Avec plus d’un milliard d’utilisateurs d’Internet aujourd’hui, et plus de 3 milliards au cours des deux prochaines années, ces modèles d’entreprise sont réalistes. Il ne faut pas oublier qu’en tant qu’architectes et urbanistes nous avons une tâche colossale : nous devons créer des villes et des bâtiments avec zéro émission de CO2 d’ici à 2050. Il ne reste pas beaucoup de temps si l’on considère qu’à l’heure actuelle il n’existe aucune solution et que le délai de mise en œuvre du design urbain est de 20 ans en moyenne.
    De plus en plus, les consommateurs exigent de nouveaux procédés. Avec Magnezit, une grande entreprise de matériaux réfractaires russe, nous développons actuellement un nouveau design architectural qui fait pleinement usage du co-working (co-travail). Il s’agit d’une occasion unique pour mettre en application à grande échelle des idées développées dans nos projets de recherche.

    Hedronics Chair @ Biennale d'Architecture de Moscou, 2011

    Hedronics Chair @ Biennale d’Architecture de Moscou, 2011. Photo: © anOtherArchitect.

    Les phénomènes de collaboration actuels présentent des méthodes d’exploitation et des approches contrastées. D’une part, des plates-formes hyper-pointues d’ingénierie du design et de construction (comme celle mise en place par Gehry Technologies pour la Fondation Louis Vuitton à Paris), permettent à un grand nombre de techniciens dispersés géographiquement de travailler en temps réel et de manière collaborative sur le Building Information Model. Dans cette chaîne numérique de pointe, la responsabilité de la prise de décision est de plus en plus perçue comme le point fort d’une application logicielle spécifique capable de gérer un niveau élevé de complexité. D’autre part, agir et élaborer un design en collaboration est plutôt généralement envisagé comme un moyen de permuter les moments de prise de décision et d’améliorer l’accessibilité globale des personnes au sein du processus de design. Que pensez-vous de ces deux aspects contrastés de la collaboration ? Vont-ils finir par converger ?
    J’espère qu’ils vont converger à un moment donné. Bien sûr, les projets à gros budgets comme celui que vous mentionnez ont suffisamment de ressources pour investir dans de nouveaux moyens de collaboration et de prise de décision, puisque, sur le long terme, cela représente une économie budgétaire pour le projet. Si l’on considère qu’il s’agit là de la Formule 1 de l’architecture, j’espère que ces technologies vont peu à peu descendre jusqu’au « marché de masse « . Mais nous devons admettre que l’architecture et les architectes ne sont pas très versés dans les nouvelles technologies. Il suffit de regarder les bâtiments qui gagnent les concours de nos jours et les outils évidents que la plupart des architectes utilisent. Fondamentalement, de tels marchés grand public n’existent pas. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’attendre de nouvelles normes industrielles ou de s’appuyer sur des bureaux établis.
    Notre seul espoir réside dans de nouvelles générations d’architectes désireux de collaborer et prêts à partager leurs connaissances. Le développement de nouveaux outils et de nouvelles plates-formes doit venir de l’intérieur même de cette génération (tout comme cela s’est produit pour l’Internet et l’ensemble de ses plates-formes). La nouvelle génération doit comprendre qu’elle a là une grande occasion d’échapper à la norme actuelle toute tracée de notre profession : cessez de participer à des concours, commencez à participer à des collaborations. Il y a suffisamment d’emplois à pourvoir : actuellement seulement 2% des bâtiments à travers le monde sont conçus par des architectes. Arrêtez d’être en concurrence avec les pratiques établies : découvrez de nouveaux modèles commerciaux, car un grand marché vous attend. Environ 20% du PIB de chaque pays est constitué par le secteur du bâtiment. Nous n’avons pas besoin d’un autre Foster ou d’une autre Hadid — nous avons besoin d’un Zuckerberg de l’architecture, de quelqu’un qui lance un nouveau développement et réinvestisse dans le système. Je suis sûr que nous sommes sur le point de voir une révolution-internet de nos villes sous leur forme physique, ce qui rendra la survie de certains dinosaures laborieuse.

    propos recueillis par Sabine Barcucci
    publié dans MCD #68, « La culture du libre », sept. / nov. 2012

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