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    Pourquoi j’adhère au culte du Dogecoin

    much soul, very emotion…

    L’auteur du « Guide hérétique de la finance globale » (The Heretic’s Guide to Global Finance: Hacking the Future of Money) utilise le Dogecoin, que certains ont fait passer pour un vaste canular. Au contraire, cet ancien trader explique pourquoi celle-ci constitue en fait l’une des meilleures « alt-coins », ces crypto-monnaies alternatives.

    J’utilise le Dogecoin parce que le chien m’attire sur le plan affectif. Contrairement aux fossiles tels que la reine à l’air figé sur les billets de livre sterling, ce Shiba Inu est à la fois transcendant et abordable, autosuffisant, mais câlin. Il me regarde dans les yeux avec son regard en biais, comme s’il venait de remarquer ma présence et se demandait si je préfère jouer ou être laissé tranquille. Ce n’est pas un chien agressif ni, d’ailleurs, un chien surexcité qui tenterait à tout prix de me lécher. Son âme est autonome et atypique et il serait quasiment impossible d’imaginer que ce chien puisse être un connard.

    Certains membres de la communauté des crypto-monnaies ont dénigré le Dogecoin, le traitant de canular, voire d’arnaque. Peut-être les deux à la fois, mais est-ce vraiment si important ? Toutes les devises, si on y regarde de plus près, sont des arnaques. Ce qu’il faut se demander, c’est laquelle d’entre elles nous sommes prêts à accepter. Pour ma part, je préfère prêter serment d’allégeance à un chien mystique qu’adorer l’image d’un monarque arrogant. En effet, le Dogecoin est pour moi la meilleure de toutes les alt-coins, ces crypto-monnaies alternatives qui ont vu le jour dans le sillage de l’invention du code source du bitcoin. Voilà pourquoi.

    L’argent n’est pas « rationnel »

    Réfléchissez à la question suivante : pourquoi les humains ont-ils inventé la poterie ? Pour beaucoup, parce qu’elle devait être utile pour stocker de la nourriture et de l’eau. Une réponse qui correspond parfaitement à notre vision dominante et rationaliste du monde. L’hypothèse selon laquelle la poterie a été « inventée » délibérément reste cependant problématique, d’autant qu’il semblerait qu’elle ait été utilisée, à l’origine, pour fabriquer des figurines religieuses abstraites.

    Un problème similaire apparaît chez de nombreux économistes qui tentent de colporter des théories anhistoriques sur la raison pour laquelle les gens ont inventé l’argent. Leur histoire met souvent en scène des personnes concevant l’argent de manière « rationnelle » comme une alternative au « troc ». Or, il n’est pas très rationnel d’échanger spontanément des biens réels contre des morceaux de papier ou des bouts de métal brillant.

    Bien entendu, une fois la convention sociale de l’échange monétaire mise en place, celle-ci s’avère utile, mais le processus imaginaire dans lequel les boulangers et les bouchers « inventent » l’argent pour faire face aux difficultés de l’échange de la viande contre des pains au levain est une tentative de refonte de l’histoire à l’envers, soumise à la vision du dogme actuel.

    L’argent n’est pas un objet que l’on puisse inventer. C’est une convention sociale qui doit se structurer sur le plan culturel. L’utilisation de coupons monétaires apparaît uniquement rationnelle lorsqu’elle s’inscrit dans une convention (ou une illusion) collective qui attribue de la valeur à ces mêmes jetons, convention qui doit être constamment maintenue.

    Pouvoir d’État, confiance locale, travail et mysticisme méta-national

    Dans le cas de notre monnaie fiduciaire habituelle, la convention collective est renforcée par la force psychologique (et réelle) des autorités officielles. La majorité de notre monnaie fiduciaire est créée par les banques commerciales, mais sa « réalité » provient en grande partie de l’approbation par l’état de son statut légal.

    En l’absence d’un État qui défende une monnaie, d’autres facteurs sont nécessaires pour induire l’acceptation collective. Par exemple, une toute petite communauté pourrait créer et maintenir une monnaie locale uniquement soutenue par le réseau de confiance communautaire préexistant, tissé d’amitiés réciproques, de liens d’honneur et de la crainte d’être exclu du groupe social.

    En dehors d’une petite communauté, il est particulièrement difficile d’instaurer la confiance dans une monnaie non-nationale. Le bitcoin est un cas d’étude tout à fait fascinant de ce processus. À ses débuts, le bitcoin n’avait presque aucune valeur. Il possédait pourtant un élément crucial. À son centre se trouvait un personnage mystérieux, presque immatériel, nommé Satoshi Nakomoto qui, focalisant l’attention, permettait le ralliement d’une communauté autour de lui.

    La mystique de Satoshi était vitale, dotant ce qui sans lui n’aurait été qu’un élément intelligent, mais froid, de cryptographie d’une âme en laquelle les gens ont pu croire. Satoshi était l’esprit sacré dans la machine et le minage ressemblait à une quête rituelle poursuivant la construction du blockchain (le registre des transactions en bitcoins) entamée par cet esprit. C’est par ce processus que la valeur imaginaire du bitcoin a pris vie et a commencé à se concrétiser.

    En revanche, imaginez si une personne connue, comme Stephen Hawking, inventait le bitcoin. Ce dernier serait dépourvu de tout mystère. Au lieu d’un mouvement alternatif, il ressemblerait à un projet scientifique ou commercial. Les traits de caractère propres à Stephen remplaceraient le symbole énigmatique anciennement incarné par le personnage de Satoshi. Que resterait-il alors ? Un fragment intelligent de cryptographie et un acte peu banal consistant à utiliser de l’énergie pour faire fonctionner des ordinateurs.

    Ceci dit, il y a quelque chose d’intéressant dans l’inutilité fondamentale de la triture des algorithmes par le biais d’un ordinateur psychologiquement puissant. Si vous vous plaisez à voir une chose essentiellement éphémère comme un produit utile, le fait d’accroître le travail dans le processus de création peut être avantageux, étant donné que le travail induit la rareté (seules les choses rares demandent du travail) et que la rareté signifie une valeur d’échange potentielle (on ne peut rien échanger contre une chose abondante).

    La puissance (« le travail ») de calcul intégré au réseau du bitcoin ne crée pas de valeur en soi, mais elle représente un garant psychologique supplémentaire pour la valeur imaginée des jetons de bitcoin. S’ils n’avaient pas de valeur, nous ne produirions pas autant de travail, n’est-ce pas? Si nous effectuons ce travail, c’est qu’ils doivent avoir de la valeur, non ?

    Le mythe émergent de la rationalité du bitcoin

    Fait intéressant, le processus rituel de minage est devenu de plus en plus concurrentiel et la commercialisation du bitcoin a explosé, de nouvelles théories sont apparues pour expliquer la valeur des jetons de bitcoin d’un point de vue « rationnel ». Parmi ces théories, on trouve l’idée mise en avant par la Fondation bitcoin elle-même selon laquelle les bitcoins ont une valeur parce qu’ils sont utiles.

    Tout cela s’inscrit dans une tendance générale de l’élite du bitcoin qui consiste à réécrire l’histoire et proclamer, avec le recul, que la valeur du bitcoin a toujours été évidente et que les adeptes du début se sont lancés dans l’aventure, car leurs espoirs de reconnaissance croissante de la valeur du bitcoin comme moyen sécurisé d’échange par la société étaient fondés.

    Dans cette affirmation, les jetons de bitcoin tirent leur valeur de leur appartenance à un système potentiellement utile, la valeur de chaque bitcoin reflétant l’évaluation globale du marché qui vante l’utilité d’un moyen d’échange sécurisé. C’est un peu comme soutenir que les conteneurs placés sur des wagons de train tirent l’intégralité de leur valeur de l’utilité du réseau ferroviaire.

    La théorie implicite est la suivante : hé, ces choses sont utiles, car elles véhiculent des valeurs d’échange, alors battons-nous pour elles et, ce faisant, nous créerons leur valeur de marché, qui pourra alors être utilisée à des fins d’échange. Circulaire, non ? Il se peut qu’il y ait là une lueur de vérité, mais c’est surtout une tentative de décrire le processus essentiellement affectif et social de la création de monnaie par le biais du langage d’une rationalité froide et individualiste.

    Les monnaies du bûcheron en fer blanc n’ont pas de cœur

    Cette façon de penser a par la suite influencé la façon dont beaucoup de crypto-pièces alternatives ont tenté de s’imposer sur le marché par leurs propres moyens. Plutôt que d’assumer leur propre absurdité, de nombreuses alt-monnaies ont vanté leur efficacité, leur sécurité ou leur usage adaptés à des cas spécifiques comme si l’utilité et la compétitivité du concept motivaient l’adoption d’une monnaie par un individu.

    La crypto-conférence est ainsi devenue le royaume des « gens sérieux » discutant « d’affaires sérieuses ». Ici, pas de mysticisme, ni d’émotion mièvre. Ils s’adressent à la fonctionnalité rationnelle au lieu de donner vraiment envie aux gens de les utiliser. Ils sont techno-fétichistes. Un gars fait une présentation PowerPoint où il détaille froidement le cas commercial pour lequel sa crypto-monnaie est idéale, car elle utilise un système de hachage turbo dernier cri, mais putain, dis-moi pourquoi je devrais y CROIRE !

    Il est vrai que, dans une certaine mesure, cette stratégie a fonctionné pour des alt-monnaies comme le lightcoin, le quarkcoin et le peercoin, qui ont acquis une certaine popularité à partir de leur concept, mais réfléchissez un instant à la question suivante : pourquoi utilisez-vous la livre sterling ou le yen ? La réponse n’est jamais, parce j’apprécie leur design, et ce n’est pas non plus, parce que je comprends, d’un point de vue rationnel, l’utilité que représente pour moi ce moyen d’échange, ni parce que je suis intimidé par l’État et qu’il me force à utiliser ces devises.

    La plupart du temps, nous répondons simplement parce c’est ce que tout le monde semble utiliser et qu’on m’a appris à l’utiliser. Nous sommes nés avec les monnaies tout comme nous sommes nés avec les langues et avons appris à les utiliser dans un contexte social. Si vous voulez convaincre quelqu’un d’accepter des documents électroniques éphémères comme monnaie, vous aurez besoin d’une histoire à laquelle les gens pourront se raccrocher. Vous aurez besoin de cœur.

    Le Dogecoin est un culte, et c’est très bien ainsi

    Ce qui nous ramène au Dogecoin. Je peux croire au Dogecoin parce qu’il me donne matière à croire. Il fait directement appel à l’irrationnel, au dépassement du monde conventionnel du calcul de l’utilité individuelle pour se soumettre à une absurdité hilarante. Il s’agit, avant tout, d’un culte et c’est infiniment plus attirant que tout démarchage qui tenterait de nous faire adopter un concept solide.

    Le regard calme et ludique du Doge est, en soi, le fondement mystique de la monnaie. Peu importe qui l’a inventé, parce que Dogecoin n’est pas perçu comme le projet narcissique d’un individu, c’est son symbole même qui en est le leader. Le Doge est un personnage sans ego, qui séduit tout le monde à travers les cultures, les identités sexuelles et même les espèces. Nous pouvons tous retirer quelque chose du regard du Shibu.

    Cela se reflète dans la communauté qui s’est développée autour du Dogecoin, des personnes qui se présentent comme des « shibes » et s’offrent mutuellement des cadeaux en Doge. Alors que le forum dédié au bitcoin sur Reddit est devenu un véritable ring où se pratique le trolling agressif, dans les forums Dogecoin on se sent compris et accepté, en phase avec son univers surréaliste constitué de slogans ésotériques et d’actes de bonne volonté.

    En conclusion, j’ajouterais un mot sur sa conception. Si l’on devait parler d’une seule chose intelligente dans la conception du Dogecoin, c’est la façon dont ses principaux membres ont mis l’accent sur la création d’une culture ascendante, au lieu de fétichiser la création de la monnaie en tant que solution technique destinée être commercialisée à partir du sommet.

    La communauté Dogecoin a augmenté rapidement en réponse à des actes communautaires qui établissent une raison de croire en la monnaie, comme le parrainage de personnages atypiques comme l’équipe de bobsleigh de la Jamaïque et de cascades loufoques comme le soutien à une voiture de course Nascar. Ce sont des choses dont vous pouvez rire, assis dans un pub, en dehors des salles de conférence. Et c’est ce qui fait toute la différence.

    Brett Scott
    publié dans MCD #76, « Changer l’argent », déc. 2014 / févr. 2015

    Brett Scott est journaliste, militant et auteur du Heretic’s Guide to Global Finance: Hacking the Future of Money (Pluto Press, 2013). http://suitpossum.blogspot.co.uk / @Suitpossum

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