Hydrid Design
Electronic Shadow est une plate-forme de design hybride qui alimente sa création par un gros travail de recherche et d’innovation, tant sur le plan artistique que technologique, avec une système breveté de projection espace/image par exemple.
Vous considérez-vous comme une véritable entreprise artistique, porteuse à la fois de créativité artistique et technologique ? Pensez-vous qu’aujourd’hui la vocation des artistes innovants est de se considérer avant tout comme une entreprise créative ?
Electronic Shadow a été créé en 2000 sur l’intuition que le monde était sur le point d’opérer une mutation majeure dans une fusion du numérique avec le réel. Ce que vous appelez le système breveté de projection espace/image est plus connu aujourd’hui sous le nom de mapping vidéo. Nous avons commencé à l’expérimenter dès le début des années 2000 et avons finalement posé un brevet en 2003, dont nous ne tirons pas de revenus. Nous nous considérons comme des artistes du XXIe siècle et, à ce titre, nous adaptons aux contextes qui se succèdent de plus en plus rapidement, la dimension « entreprise » est un outil et pas une fin en soi, d’ailleurs l’entité même de l’entreprise est aujourd’hui en pleine mutation avec les nouveaux modèles collaboratifs.
Vous avez créé une agence de production ES STUDIO pour allier une force de proposition originale aux réalités de la demande et accompagner doucement la commande vers de nouveaux horizons… Est-ce que cette structure est en quelque sorte le versant « business », en relation avec les entreprises ou les clients du projet Electronic Shadow ? Tous vos projets passent-ils par cette structure ? Si non, lesquels ?
ES STUDIO est la société que nous avons créée en 2003 pour faciliter la production de nos projets et du même coup répondre aux demandes des entreprises. Nous n’avons pas une approche commerciale et n’avons jamais démarché de clients, cela n’est tout simplement pas l’objet de la structure que nous utilisons comme un outil au même titre que les autres. Dans notre équilibre et écosystème, nous finançons notre travail artistique et nos recherches avec les formes adaptées de ces créations dans des contextes de commande. Nous investissons sur notre propre travail et n’avons pour ainsi dire jamais dépendu d’aides quelles qu’elles soient.
Vous avez travaillé directement avec de nombreuses entreprises… Je pense notamment à votre installation Chaud et Froid, une scénographie lumineuse animée et interactive conçue pour le show-room de l’entreprise d’ameublement Cassina sur le Boulevard Saint-Germain en 2005, et qui réfléchissait déjà à des principes avancés de domotique. Pensez-vous que les artistes numériques soient une vraie source de développement technologique pour les entreprises aujourd’hui et pour les nouveaux modes de vie de demain ?
En 14 ans d’existence, nous avons eu l’occasion en effet de faire de nombreuses rencontres. L’exemple que vous citez est très ancien, mais plus récemment, nous avons collaboré avec Microsoft, Saazs, dépendant de St Gobain, SFR, Schneider Electric, Accor et d’autres. À chaque fois c’est une histoire de rencontre, d’abord avec des personnalités, une rencontre humaine, un désir commun, alimentée par ce que nous produisons dans nos projets précédents la rencontre et débouchant sur une nouvelle aventure singulière.
À chaque fois, évidemment, nous essayons d’aller plus loin que ce que nous avons fait précédemment et devenons, de fait, force de proposition et cela génère de l’innovation, parfois technologique, créative, esthétique. L’innovation se trouve toujours en dehors du brief, car c’est notre fonction en tant qu’artistes d’aller plus loin et de rendre visible et tangible ce qui n’a pas forcément été imaginé. Donc, oui dans le dialogue à opérer avec les entreprises, les artistes ne doivent JAMAIS se contenter de faire ce qu’on leur demande, où alors ils ne sont pas des artistes, mais des prestataires.
Je sais que vous avez aussi travaillé avec des entreprises comme Renault, autour de la scénographie de leurs salons en 2003, mais avez-vous travaillé sur d’autres projets scénographiques du même ordre que Chaud et Froid, directement avec d’autres entreprises depuis ?
Nous avons en effet travaillé pour quelques entreprises marquantes. En 2006 à travers le Comité Colbert, nous avions eu comme clients la plupart des marques de luxe françaises en concevant et réalisant l’espace FIAC Luxe ! au Carrousel du Louvre. Cela a directement débouché sur un travail plus en profondeur avec certaines de ces maisons et nos liens avec cette industrie sont restés fidèles. Nous avons d’ailleurs reçu en 2011 le Prix du Talent de l’innovation du Centre du Luxe et de la Création.
Dans vos relations professionnelles avec des entreprises, vous avez également beaucoup travaillé sur des projets de direction artistique externe. Je pense à ST Dupont en 2007, où vous avez travaillé à la redéfinition globale de l’image de la marque, ou à des projets de design graphique — toute la conception graphique, les flyers, objets dérivés et autres affiches de la FIAC luxe 2006… Un studio d’artistes doit-il être flexible et susceptible de couvrir différents types de création graphique/design pour répondre aux attentes d’une commande d’une entreprise aujourd’hui ? Les entreprises sont-elles en attente aujourd’hui des propositions innovantes que, finalement, seuls des artistes sont en mesure de leur amener ?
Il n’y a pas de règles. Electronic Shadow est alimenté par nos compétences et elles sont multiples, dans un champ couvrant l’espace, l’architecture, la lumière, mais aussi tout le travail sur l’image, le graphisme, la vidéo et tout ce qui touche au numérique, programmation, 3D, interactivité, effets spéciaux. Cela permet en effet de proposer des réponses globales et cohérentes qui peuvent fonder totalement un projet, notamment en communication quand on ressent une parfaite cohérence entre les différents médias. Plus les liens sont distendus entre ces différents métiers et plus le message devient inaudible. Je ne pense pas que ce soit ce que les entreprises attendent des artistes, mais si les artistes peuvent mettre à profit une large palette de compétences qui puisse servir son propos alors tout le monde est gagnant.
ES STUDIO est également tourné vers des projets plus hybrides avec des partenaires publics. Je pense à l’animation permanente pour le Pavillon de l’Arsenal ou à l’installation sur la structure extérieure du bâtiment de Jakob et MacFarlane au FRAC d’Orléans… Faites-vous une différence dans votre travail, selon qu’il se dirige vers des partenaires publics ou privés ?
En l’occurrence, le Frac Centre était un concours qui s’adressait à des équipes constituées d’un architecte et d’un artiste. L’artiste associé est donc Electronic Shadow et l’installation permanente de la peau de lumière est une œuvre en soi. Ce qui fait la différence entre les projets est sa destination finale et évidemment nous en tenons compte et équilibrons les projets qui sont de purs investissements et d’autres qui génèrent un certain équilibre financier. L’exigence sur les projets est, quant à elle, la même.
Travaillez-vous aujourd’hui sur de nouveaux projets avec des entreprises ? Lesquels et dans quelle direction ? Quelle part dans le travail au quotidien d’Electronic Shadow représente le travail au sein de l’agence de production ES STUDIO et donc envers les entreprises et commanditaires privés potentiels ?
Electronic Shadow existe depuis 14 ans et ES STUDIO depuis 11 ans, ils restent une signature pour l’un et l’entité qui nous emploie tous les deux à nos différents projets. Depuis environ un an et demi, nous développons de nouveaux projets avec de nouveaux partenaires, parmi lesquelles de nombreuses entreprises et institutions. ES STUDIO étant à la fois notre outil et notre propre employeur. La proportion est difficile à établir et il y a toujours cet équilibre dont nous parlions entre le travail purement artistique et les projets de commande, mais de plus en plus, nous opérons une fusion des deux et faisons participer les entreprises à des projets qui ont directement une portée artistique.
propos recueillis par Laurent Catala
publié dans MCD #74, « Art / Industrie », juin / août 2014