post-audio
Retour sur la 16ème édition du festival Elektra marqué, cette année, par le lancement de la première Biennale Internationnale d’Art Sonore. Placée sous le signe du « post-audio », la programmation interroge l’influence du sonore sur notre psyché, explore les différents phénomènes d’écoute, propose de nouvelles modalités d’interrelation entre le son et l’image au travers de rencontres, expositions et performances.
Le festival Elektra, qui se déroule à Montréal à la mi-mai, s’est ouvert cette année avec une table ronde en compagnie de [The User] et des auteurs de la monographie qui leur est consacrée. Les installations sonores de Thomas McIntosh et Emmanuel Madan illustrent le questionnement multiple du « post-audio ». Un questionnement reconduit ensuite avec Resonant Architecture du collectif Art Of Failure, représenté par Nicolas Maigret. Une projection vidéo où se succèdent friches industrielles, jungles urbaines et paysages dévastés qui servent, au sens strict, de caisse de résonnance à des objets architecturaux atypiques.
Une « mise en vibration » qui atteint son paroxysme avec une installation monumentale qui se dresse au milieu de nulle part, tel un gigantesque totem chargé de piéger des sons. À la suite de cette présentation, place à l’inauguration de la Biennale Internationnale d’Art Sonore au Musée d’Art Contemporain de Montréal, avec la nouvelle installation performative de Cod.Act. Baptisée Nyloïd, impressionnante par sa taille, il s’agit d’une sorte de tripode constitué de tubulures souples en nylon. Soumis à des contraintes mécaniques, l’alien s’agite, se tord en émettant des borborygmes, comme pris de convulsions devant un public craintif.
Dans une ambiance plus feutrée et studieuse, le Marché International d’Art Numérique initié par Elektra rassemble des professionnels (artistes, festivals, revues, médialabs, commissaires…). L’occasion pendant 2 après-midis passés au Centre Phi de croiser des expériences. De mesurer également l’importance du contexte socio-culturel et économique dans lequel peuvent s’ancrer des initiatives; notamment pour les pays du Sud. Ainsi, par exemple, le SESC (Service Social du Commerce), une institution privée brésilienne qui œuvre dans le domaine des services, de l’éducation et de la santé, mais qui a également un Département consacré aux Arts visuels et numériques, et peut réunir un public bigarré dans un quartier qui se met à vibrer sur du mapping et de la drum-n-bass !
La rencontre avec les chercheurs, artistes et étudiants affiliés à l’Hexagram-UQAM (le centre de recherche en arts médiatiques de l’Université du Québec à Montréal) était également propice à l’échange d’impressions avec la découverte de works in progress dans le domaine des dispositifs scéniques, des vêtements connectés… Outre quelques présentations et expositions satellites, Elektra proposait aussi, de manière plus inattendue, un aperçu des ateliers créatifs-pédagogiques à destination des enfants avec la contribution d’Herman Kolgen dans une performance audio-visuelle aux allures de fête de fin d’école !
Plus adulte, si ce n’est cérébral, l’exercice d’écoute proposé par Nicolas Bernier avec un dispositif très simple (oscillateur, diapason, haut-parleur), qui repose sur le télescopage d’oscillations générées par deux sources, électronique et analogique (Frequencies (friction). Autre installation audiovisuelle et multicanal jalonnant un des lieux investis par Elektra, Topologies de Quayola qui opère une réinterprétation géométrique des peintures classiques de Velasquez et Tiepolo, les transformant ainsi en une sorte d’origami en mouvement qui semble conçu avec du papier froissé. Il y a aussi Temporeal, l’étrange installation cinétique de Maxime Damecour, qui nous force à observer de près un filament presque fluorescent qui réagit aux basses fréquences.
Concernant les lives, tout a démarré avec 2 sets immersifs sous le dôme de la SAT (Société des Arts Technologiques). C’est un peu comme la Géode : les images recouvrent complètement notre champ de vision. Allonger, le voyage astral commence avec des rectangles colorés que Paul Prudence enchaîne à des effets tunnel sur une bande-son à la fois planante et coupante (Lumophore II). À sa suite, le collectif turc Ouchhh exploite le même principe, mais avec des textures en noir et blanc plus travaillées, plus complexes, évoluant au gré de patterns électroniques sculptées au scalpel (Homeomorphism, suivi de Solenoid). Un moment fort du festival.
Les autres lives se sont déroulés à l’Usine-C. Sur l’ensemble de la programmation, nous retiendrons l’étonnant jonglage avec des projecteurs de Martin Messier (Projectors), la leçon de DJing avec des toupies lumineuses de Myriam Bleau (Soft Revolvers) produisant des sonorités ondulantes qu’il vaut mieux écouter sans avoir mangé gras avant… On retrouve Paul Prudence, en 2D cette fois (Cyclone II). Dans un registre plus « techno-tronique », Alex Augier s’est imposé avec ses compositions très « mathématiques » prolongées par des lignes de fuites projetées sur une structure cubique (oqpo_oooo). Hors de ce dispositif, on observe une proximité d’intention de sonorités avec le set « algorithmique » de Julien Bayle (ALPHA). Par contre, Franck Bretschneider, accompagné de Perce Warnecke pour les visuels, nous a laissés pantois : trop décousu, trop brut, trop improvisé, trop « free » par rapport à son album éponyme paru sur Raster Noton (Sinn+Form); en dehors d’un moment calme au milieu de ce fatras sonore, sous forme d’une boucle mélodique.
Nous avons préféré, de loin, ses acolytes Olaf Bender (Byetone) et Carsten Nicolai (Alva Noto) qui clôturaient les sessions le samedi soir. Ils ont livré un set cinglant, doté d’une force brute et d’un volume conséquent. Le tandem était épaulé par Atsuhiro Ito qui jouait de l’optron. Un instrument qu’il a inventé, qui ressemble à un néon perclus de capteurs avec lequel il se livre à des solos plein de luminescences et de stridences. Un peu plus tard dans la nuit, les derniers festivaliers encore valides après ces 4 jours intenses ont rejoint Alain Thibault, directeur d’Elektra, et son équipe pour un dernier set dans un bar-club (le Datcha, rue Laurier Ouest pour les connaisseurs). Rendez-vous est pris pour l’année prochaine…;)
Laurent Diouf
publié dans MCD #78, « La conjuration des drones », juin / août 2015