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    Gamerz 2018

    festival des arts numériques

    La 14e édition du festival Gamerz investit la Fondation Vasarely, l’École supérieure d’art et la Bibliothèque Méjanes à Aix-en-Provence ainsi que la Galerie des Grands Bains-Douches à Marseille, du 8 novembre au 15 décembre prochain. En coordination avec Chroniques — biennale des imaginaires numériques, qui officie sur les mêmes terres et à la même période —, Gamerz propose des expositions, performances, DJ-sets, ateliers et conférences.

    Cette année, l’exposition collective se déploie autour d’une thématique commune avec le festival DataBit.me : Digitale défiance. Les artistes Julien Clauss, Caroline Delieutraz, Harm van den Dorpel, ErikM et Géraud Soulhiol proposent, chacun à leur manière, une sorte de critique de la technologie, tels des lanceurs d’alerte. Un regard qui s’inscrit dans l’héritage de penseurs comme Ellul ou Virilio (récemment disparu), contre le mythe du progrès technique, de la glorification de la croissance, de l’innovation sans fin, du culte de la vitesse… Le numérique décuplant ces symptômes de la catastrophe qui vient. Les œuvres présentées illustrent cette problématique liée aux usages sociaux des nouvelles technologies, à la nécessité de reconsidérer l’imaginaire qui préside et accompagne la technique à l’ère du numérique et la culture du digital. Avec une focalisation sur l’image et le son. Et quelques expériences distilleries atypiques (Vincent A., Pat Lubin & Shoï Extrasystole, Alambic Sonore)

    L’image, tout d’abord. Internet est le grand pourvoyeur d’images, fixes et animées, qui servent désormais de matériaux artistiques à part entière. Ainsi, Géraud Soulhiol utilise des clichés de Google Earth dont il projette des fragments, nous donnant l’impression de voir le monde par un trou de serrure avec sa série Le Hublot ou d’expérimenter des paysages morcelés (Territoires recomposés). Harm van den Dorpel fait également son marché sur Internet où il glane des photos de personnes franchement HS après des soirées que l’on imagine mémorables (du moins, pour les témoins qui les ont immortalisés). Assez éloigné de l’épure graphique et algorithmique dont il fait preuve habituellement, grâce à un petit protocole d’animation, il nous donne l’impression que ces corps gisants dans des postures improbables sont en séance de lévitation (Resurrections). Caroline Delieutraz déstructure également des images présentées sous la forme d’un puzzle en relief, en bois découpé, sur plusieurs strates, avec des pièces manquantes (Les Vagues); évoquant des tableaux d’un autre siècle (Sans Titre (La Tour de Babel)) ou des images satellites (Kamil Crater, basé sur l’étude d’une partie du désert égyptien via Google Earth par un scientifique italien qui a ainsi pu identifier un cratère creusé par une météorique).

    Le son, ensuite, avec eRikM. Éminemment connu dans le circuit des musiques expérimentales, bruitistes et improvisées, il propose un objet sonore baptisé La Borne. Cet artefact qui ressemble un peu à une urne funéraire repose sur un dispositif constitué de 16 codes joués de manière aléatoire. Mêlant collage sonore et symbolisme du langage, cette réalisation est basée sur les éléments de code utilisé par les soldats amérindiens Choctaw pour l’Armée américaine à la fin de la Première Guerre mondiale. À noter que ce principe, rendant quasiment indéchiffrable le code pour d’autres nations (en premier lieu l’Allemagne), fut repris lors de la 2e Guerre mondiale et inspira le film de John Woo avec Nicolas Cage, Windtalkers, les messagers du vent.

    Avec sa Salle de brouillage, Julien Clauss met en scène le spectre sonore radiophonique. Combinant une trentaine d’émetteurs/récepteurs bricolés, plaqués sur des plaques de cuivre et prolongés de câbles tirés au cordeau, calés sur des fréquences différentes (de 87 à 108 MHz), cette installation balaye la bande FM (bribes de conversation, interférences, bruits parasites, etc.), offrant une bande-son modulable, si l’on ose dire, puisque les visiteurs peuvent s’amuser à explorer ce chant des signes à l’aide de radio mises à disposition. Ce dispositif fera aussi l’objet d’une performance, Agrégation de porteuses dans l’Ultrakurzwellen. On retrouvera Julien Clauss dans le cadre d’un cycle de conférences intitulé L’Homme orbital; auquel participeront également France Cadet, Ewen Chardronnet, Colette Tron et Jean Cristofol qui interviendront sur les aspects théoriques et pratiques du numérique, en confrontant l’expérience de structures et événements ancrés dans la région PACA (Chroniques, Gamerz, ESAAix, Alphabetville).

    L’autre grande expo, monographique cette fois, se déroulera à la Galerie des Grands Bains-Douches de la Plaine à Marseille. Sous la bannière Master/Slave — qui évoque pour notre part les temps héroïques des jumpers qui servaient à indexer les disques durs sous interface IDE & Co… — Quentin Destieu (artiste et directeur du festival) y présentera un large panorama de ses créations dans le cadre de son doctorat. Parmi les nombreuses pièces, signalons Maraboutage 3D, soit des poupées vaudou hérissées d’aiguilles à l’effigie de Bre Pettis. Un retour de bâton pour celui qui, après s’être arrogé les fruits du développement de l’imprimante 3D par la communauté open-source, les a brevetés et cadenassés pour en faire l’exploitation commerciale.

    Dans un autre genre, À cœur ouvert donne à voir, à taille humaine, les entrailles du premier micro-processeur. Condensé technologique qui annonce la micro-informatique grand public, le Intel 4004 (c’est son nom d’origine) reposait sur une architecture de 4 bits, une fréquence de 740 kHz et était doté d’une mémoire morte de 256 octets… Mais sa principale caractéristique est d’avoir été dessiné entièrement à la main. Ensuite, contrainte de la miniaturisation oblige, les machines ont pris le relais pour le tracé des ramifications du système de transistors. C’est ce réseau des commutations que donne à voir À cœur ouvert.

    Quentin Destieu se livre aussi à des opérations de détournement et recyclage de nos appareils électriques et électroniques, les transformant en outils primitifs après avoir fondu leurs composants et métaux (Refonte, Gold revolution, Opération pièces jaunes). Au rayon des artefacts improbables, il a conçu une Machine 2 Fish, petit robot motorisé sur roue qui transporte un aquarium selon un itinéraire qui varie au gré des mouvements d’un poisson rouge… Sans oublier La brosse à dents qui chante l’Internationale (profitons-en pour rappeler au passage qu’il existe aussi une Internationale Noire — i.e. anarchiste — que l’on entonne malheureusement moins fréquemment…).

    Laurent Diouf

    Gamerz 2018, 14e édition, du 08 novembre au 15 décembre, Aix-en-Provence + Marseille
    > http://www.festival-gamerz.com/gamerz14/

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