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    Gamerz 2016

    festival des arts multimédia

    La douzième édition de Gamerz — festival des arts multimédia basé à Aix-en-Provence et porté par l’association M2F / Lab Gamerz — vient de se refermer le dimanche 13 novembre après dix jours d’expositions, performances, ateliers et rencontres. Cette année, cette manifestation se distribuait essentiellement autour de deux parcours d’expositions : Univers Simulés (à la Fondation Vasarely avec Ewen Chardronnet en commissaire invité) et D. Générer (dans différents lieux, sous la direction artistique de Quentin Destieu). Pour l’essentiel symptomatique des utopies et dystopies liées aux nouvelles technologies émergentes depuis la seconde moitié du XXe siècle (cybernétique, conquête spatiale, robotique, etc.), les pièces, installations et projets proposés développaient des esthétiques, mondes et chimères questionnant notre société désormais gouvernée par des algorithmes et en proie à l’obsolescence programmée. Retour d’horizon…

    Symbole s’il en est de cette gouvernance mathématique, les robots-traders qui pilotent à vitesse folle les marchés boursiers sont une source d’inspiration pour le collectif RYBN qui ne cesse de dénoncer l’absurdité des ressorts de cette économie-monde au travers d’ADMXI. Un « vrai-faux » logiciel de trading dont les ressorts algorithmiques reposent sur des prémisses ésotériques (l’harmonie des sphères, un thème astral ou des figures de la géomancie, par exemple…). Mais une fois introduits dans le circuit spéculatif de la finance, ces automates informatiques fonctionnent comme leurs homologues qui obéissent à l’orthodoxie capitaliste !

    Contrôler les flux, être informé en temps réel de tous les paramètres socio-économiques et décider ainsi en toute majesté : poussé à son comble, ce regard panoptique doublé d’une volonté de puissance ne peut qu’engendrer un monstre informatique. Même avec les meilleures intentions du monde. Un tel projet, fou, fut pourtant mis sur pied par Stafford Beer durant le gouvernement Allende au Chili. Nom de code de ce Big Brother chilien : Cybersyn ou le Projet Synco… Nous sommes au début des années 70s. L’informatique est plus que rudimentaire, surtout vue l’objectif. Il faut une armée d’opératrices pour traiter les télex. Et la salle de contrôle ressemble furieusement au poste de pilotage de l’Enterprise du capitaine Kirk…

    Cybersyn ne sera pratiquement pas opérationnel, sauf lors d’une grève des camionneurs. La dictature de Pinochet mettra fin de manière sanglante à ce système. Regina de Miguel a exhumé des archives de ce projet méconnu pour en faire un montage vidéo sur une bande-son signée Lucrecia Dalt (Una historia nunca contada desde abajo). Sur ce principe, elle propose aussi un autre film en forme de narration spéculative autour de l’écologie et de la recherche scientifique, alternants paysages gelés, archives photo de travaux scientifiques et rotations d’antennes radar sur une bande-son post-indus conçue par Jonathan Saldanha (Nouvelle Science Vague Fiction).

    Regina de Miguel reviendra sur sa démarche lors d’une conférence-débat où se produisait également Konrad Becker en marge de Painted By Numbers, son installation réalisée conjointement avec Felix Stalder. Soit une série d’extraits d’interviews de scientifiques et activistes dont les paroles s’entrechoquent comme une partie de ping-pong par écrans interposés. Sur l’estrade et en solo, Konrad Becker s’est lancé dans un long monologue, sur un débit saccadé et une succession d’images presque samplées, pour nous faire partager les analyses politico-culturelles à propos des dangereuses limites de la culture digitale. Un écho « live & direct » des propos que ce vétéran de indus-noise-experimental propage au sein de son World-Information Institute depuis des lustres.

    La conquête spatiale était également au programme avec les « agents non-humains » Špela Petrič, Miha Turšič, Dunja Zupančič et Dragan Živadin qui ont développé des installations assez minimalistes autour de Voyager; matérialisant le trajet, la position, etc. de la sonde par des lumières, sons et aplats de couleurs. À ce jour, c’est l’engin d’origine terrestre le plus éloigné de notre système solaire, photographié une dernière fois il y a près de 15 ans à longue distance. Actuellement, Voyager 1 se trouve à 136,63 UA (i.e. 20,43 milliards de km). Sa sœur jumelle Voyager 2 à « seulement » 112,64 UA sur une ellipse différente. Toutes deux emportent un disque d’or avec des messages sonores (grâce à Carl Sagan qui avait déjà apposé la fameuse plaque avec le salut terrien à destination d’extraterrestre sur Pioneer 10 et 11 parties 5 ans avant Voyager)…

    Changement de registre avec Walking Cube, la nouvelle structure évolutive de 1024 architecture (aka François Wunschel & Pier Schneider + Jason Cook pour ce projet spécifique). Comme son nom l’indique, il s’agit d’un cube tubulaire dont l’agencement se module grâce à un dispositif pneumatique. Agité de spasmes mécaniques, le cube semble ainsi danser de manière chaotique, comme un robot maladroit.

    Autre structure métallique évoquant cette fois les robots-insectes tueurs du film Runaway, L’Évadé du futur : le Chimères Orchestra conçu par le collectif Reso-nance. Accrochées à la charpente métallique de la salle principale de Seconde Nature, ces espèces de fourmis géantes frappent le support sur lequel elles sont suspendues, créant ainsi une sorte de symphonie percussive assez étrange. Au sol tournoyaient les pâles d’une sorte de gros ventilateur. Ce Rotor est l’œuvre — pas très convaincante, faute de lisibité de l’intention (i.e. la sonification de données anémométrique) — de Lucien Gaudion.

    Nous avons eu également l’impression d’être devant des insectes, devant une fourmilière, face à Refunct Modular : en fait, il s’agit de vieux appareils dont les mécanismes ont été désossés et mis à nu par Benjamin Gaulon. Tout en cliquetis et clignotements, cet alignement de cartes-mères, transistors, diodes, petits haut-parleurs, se donne à voir également comme une « fresque multimédia ». Un principe d’alignement reprit pour KindleGlitched : une série de liseuses Kindle défectueuses que Benjamin Gaulon a récupéré et qui n’affichent désormais plus que des images « dé-générées », accidentées (glitch)…

    Le détournement était aussi à l’ordre du jour avec Alexis Malbert alias Tapetronic qui customise des K7, les transformant en autant de petits gadgets ludiques avec lesquels on peut scratcher. Et plus si affinités (cf. la Vibro cassex…). Une pratique de détournement simple, low-tech, qu’il était possible de partager et d’expérimenter lors d’un atelier dédié.

    Toujours sur le plan du détournement, d’image et de communication cette fois, France Cadet « exhibait » son gynoïde virtuel… En d’autres termes, un androïde féminin en 3D se jouant de la publicité d’Aubade : HoloLeçon n°32. Au passage, on regrettera que cette modélisation ne bénéficie pas d’une plus grande exposition (au sens strict), que ces animations soient présentées dans un plus grand format. Dans le même espace, Paul Destieu proposait également une animation 3D où s’agitaient des baguettes suspendues, symbolisant les Mouvements pour batterie, d’après Himéra. Avatar des « concrétions » qu’il réalise par ailleurs. Mais pour des raisons presque indépendantes de notre volonté, on ne peut s’empêcher de penser à une séquence de Fantasia (Disney, 1940…).

    Le projet le plus farfelu et inquiétant à la fois revenant à Olivier Morvan qui, au travers d’une accumulation d’objets, de sons, de musique et d’un film, nous transporte dans La maison tentaculaire de Sarah Winchester… L’histoire est vraie et cela rend encore plus saisissant cette proposition. Après la disparition d’êtres chers, l’héritière des célèbres marchands de mort (la fameuse carabine) verse dans le spiritisme, pratique en vogue à la fin du XIXe siècle, et consulte un médium qui, nous dit la légende, lui conseille de faire quelque chose pour toutes les âmes en peine qui ont été tuées par… une Winchester ! Cela fait du monde…

    Pour ce faire, elle entreprend donc la construction d’une maison à San José, en Californie. Les travaux débutent en 1884. Ils ne s’arrêteront qu’en 1922, au décès de sa propriétaire. Entre-temps, pendant 38 ans donc, guidée par des esprits pas toujours bienveillants, Sarah multiplia les plans, les innovations high-tech pour l’époque (ascenseur, chauffage central, toilettes, etc.), les pièces (au total, 160 dont 40 chambres !), les bizarreries architecturales (escalier menant au plafond, placards sans fonds, fenêtres ouvertes sur le sol, etc.) et bien sûr les références au nombre 13…

    Laurent Diouf

    > http://www.festival-gamerz.com

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