la révolution pour la musique contemporaine
C’est la présence d’Alex Augier, à l’affiche du Grand Soir Numérique, qui nous a décidés de sortir de notre tanière pour assister aux concerts donnés à la Philharmonie dans le cadre de la biennale Nemo le 26 janvier dernier. Nous avions découvert oqpo_oooo, sa précédente performance A/V, lors du festival Elektra à Montréal en 2016. Campé au milieu d’un dispositif assez simple (une structure tubulaire et de la toile) qui forme une sorte de cube 3D, Alex Augier dispensait de la « techno-tronique » assez cinglante et articulée autour de motifs géométriques synchronisés sur les fréquences et la rythmique.
Sa nouvelle performance baptisée _nybble_ (soit le terme anglais pour désigner un demi-octet équivalent à 4 bits) reprend ce principe. Mais cette fois le cube semble un peu plus ouvert, un peu plus transparent; de fait Alex Augier semble moins enfermé dans cette structure. Les visuels sont moins compacts également. Les tracés ressemblent plus à des explosions de particules qu’à des perspectives rectilignes. Et sa musique se fait plus « brute », si ce n’est brutale. Ses fulgurances electronic-noise ricochent d’un canal à un autre, de même que les projections vidéos passent d’un écran à un autre.
Changement de décor avec Nicolas Crosse. Il fait face à un batteur, un pianiste et un violoncelliste. Les premières mesures laissent penser à la simple interprétation d’une pièce « classique ». La scène est vide de tout dispositif. Mais bien vite la gestuelle saccadée laisse transparaître un tout autre scénario. Nicolas Crosse est équipé de capteur, tout comme les musiciens. Ces capteurs permettent de générer et séquencer des sons en temps réel. Gestes répétitifs, chaotiques ou au contraire affûtés comme un rasoir : l’attaque des mouvements détermine la tonalité et la sonorité des samples. Un « duel » s’engage entre les protagonistes. Le télescopage de sonorités acoustiques et électroniques va crescendo. Le tout avec humour ! Une composante plutôt rare dans le domaine. Le titre de cette pièce écrite par Alexander Schubert n’en est que plus significatif : Serious smile.
On esquisse quelques sourires également lorsque l’on voit apparaître les raquettes stylisées de l’antique jeu vidéo Pong sur écran. Curieux et amusant « cross over » entre quelques bruits cartoonesques, une projection vidéo azimutée et une bonne vingtaine de musiciens classiques (hautbois, clarinette, contrebasse, violon, etc.). Nous sommes cette fois en compagnie de l’Ensemble InterContemporain placé sous la direction de Vimbayi Kaziboni. Osons une parenthèse et chromatisons notre propos, le fait qu’une personne née au Zimbabwe, partageant ses activités entre l’Europe et les États-Unis, dirige une telle formation nous réjouis profondément. C’est aussi rare que l’humour dans ce milieu justement… Baptisée Any Road, cette pièce créée par Daniele Ghisi, avec Boris Labbé pour les visuels, est la transposition d’un projet avorté qui devait justement combiner jeu vidéo et création musicale.
Par contre, nous restons septique sur la pertinence du deuxième set mené par l’Ensemble InterContemporain. Non que les qualités du pianiste Dimitri Vassilakis soient en cause, mais simplement parce que ce concerto de Rene Glerup n’a strictement rien d’électronique et, de fait, est en contradiction avec l’intention même de cette soirée : souligner que la révolution numérique n’a pas épargné la musique contemporaine, conjuguer l’image et le son, croiser les pratiques et les technologies pour développer de nouvelles esthétiques sonores.
Après cette « sortie de route », on se retrouve de nouveau en terrain conquis avec de l’electronica noisy et des visuels vidéo. En l’occurrence, un maelstrom rougeoyant, dense et grésillant conçu par Tarik Barri. Le son, « drone post-indus noise » (pour résumer), est assuré par Paul Jebanasam qui donne aussi dans le dubstep sous le pseudo de Jabba pour le projet Moving Ninja signé sur Tectonic. Intitulé Continuum, cette performance A/V se veut une exploration en trois temps de la vie, la puissance et l’énergie de l’univers… Plus prosaïquement, c’est aussi un très bon album éponyme, ambient-experimental de 3 plages aux titres pour le moins alambiqués, paru en 2016 sur Subtext; label cofondé par Paul Jebanasam avec James Ginzburg (30Hz, Emptyset) et Roly Porter (Vex’d).
Laurent Diouf
Grand Soir Numérique, le 26/01/18, Philharmonie, Paris.
> https://www.biennalenemo.fr/2017/08/04/grand-soir-numerique/