portrait d’un collectionneur
Hampus Lindwall est un collectionneur d’art contemporain qui parcourt, comme il se doit, les foires à l’international. Mais sa particularité réside dans sa collection, car elle est essentiellement constituée d’œuvres engageant les pratiques ou cultures numériques.
Vous avez des œuvres d’URL qui sont fort heureusement toujours accessibles au plus grand nombre, mais alors comment en revendiquer l’appartenance ?
Quand on achète une œuvre d’URL, c’est-à-dire en ligne, il y a un contrat qui lie le collectionneur à la pièce. Cela veut dire que l’on a une responsabilité en tant que collectionneur de cette même pièce. Que l’on a la responsabilité de la maintenir en ligne pour qu’elle reste accessible à tout le monde. Donc, il faut payer chaque année les frais d’hébergement pour qu’elle reste en ligne. De plus, j’ai un certificat qui dit que je possède la pièce, et c’est aussi mentionné sur l’onglet quand on accède à la page. On y lit : Collection de Hampus Lindwall, et le nom de l’œuvre. Je crois me souvenir que c’est Rafaël Rozendaal qui dit que c’est un peu comme posséder une sculpture dans un parc. Or le parc, dans ce cas, c’est l’Internet et il y a des frais annuels. C’est par conséquent à peu près l’équivalent d’aller chaque semaine la nettoyer. Or, si l’on achète une sculpture dans un parc, on a envie qu’elle soit dans un endroit où il y a le plus de monde possible, c’est-à-dire, aujourd’hui, évidemment sur l’Internet. D’ailleurs, la pièce fallingfalling.com qui est ma pièce la plus vue a 4,5 millions de visiteurs par an ! Quelles autres œuvres sont autant vues ?
Il me semble que le protocole que tu évoques est lié à un contrat créé par Rafaël Rozendaal lui-même qui l’a mis sur son site et le considère telle une œuvre, car, en ligne, le contrat apparaît dans la catégorie de ses travaux artistiques…
Une pièce, peut-être pas, mais c’est un document « Open Source », ce qui veut dire que tout le monde peut utiliser le même contrat pour vendre une pièce en ligne en ayant les mêmes conditions ou en les modifiant. D’ailleurs quand j’ai acheté un site à un autre artiste, nous avons utilisé ce même contrat en ne modifiant seulement que quelques détails.
Cela veut-il dire que ce contrat peut être utilisé, voire modifié, tant par des artistes que par des collectionneurs ?
Oui, absolument.
Avez-vous, dans votre collection, des pièces de médias variables qui ont cessé de « fonctionner » — si tant est qu’une œuvre puisse « fonctionner » — et qu’avez-vous fait si c’est le cas ?
Oui, cela arrive parfois. Il y a des problèmes qui sont liés aux systèmes d’exploitation. Un jour, par exemple, l’une de mes œuvres ne se lançait plus automatiquement comme prévu, suite à une mise à jour Apple. J’ai dû contacter l’artiste afin qu’il en modifie le code source. Cela m’est aussi arrivé avec l’émergence des téléphones portables concernant un autre site web qui était en Flash. Il nous a fallu en développer une autre version qui soit compatible avec les appareils ne permettant pas de lire de tels contenus.
Je remarque que vous dites parfois « nous », en mentionnant les artistes que vous accompagnez. Vous arrive-t-il, à ce propos, de produire l’œuvre ou la série d’un artiste ?
Oui, cela m’est arrivé à plusieurs reprises. Je pense que c’est un soutien important que l’on peut apporter en tant que collectionneur. C’est, bien entendu, sans aucune commune mesure avec ce qu’une institution peut faire. En revanche, cet investissement étant le vôtre, en comparaison à de l’argent public, vous pouvez soutenir le projet que vous voulez, aussi fou qu’il soit (rire).
Quelles sont, selon vous, les différences les plus notables entre l’élaboration d’une collection personnelle et le commissariat d’une exposition de groupe ?
Une collection personnelle vous accompagne tout au long de votre vie, alors qu’une exposition temporaire est d’une durée résolument plus courte. J’ai initié ma collection en 2005 par l’acquisition d’œuvres très contemporaines, c’est-à-dire réalisées avec les médias ou technologies actuelles et portant une réflexion sur le monde d’aujourd’hui. En poursuivant, je constitue par conséquent une sorte de capsule temporelle représentative de notre époque. Mais cette collection personnelle est aussi à la mesure de mes voyages ou rencontres alors que le commissaire d’une exposition, dans une institution, doit, j’imagine, dépasser cet aspect personnel. Et lorsque je fais l’acquisition d’une pièce que personne, autre que moi, n’apprécie, cela ne regarde que moi. La capsule temporelle que nous évoquons est donc aussi relative à mes cultures, à mes goûts.
Vous avez vous-même été quelques fois commissaire d’exposition…
Oui, cela m’est arrivé à quelques reprises, mais jamais pour des expositions de groupe. Cela a toujours été à l’occasion d’expositions personnelles où mon rôle était davantage d’échanger avec des artistes me faisant confiance au point d’évoquer des propositions pour avoir des avis.
Où repérez-vous, généralement, les œuvres ou tendances qui vous intéressent le plus ? Sur Internet, en foire, en galerie ou en atelier ?
C’est surtout par d’autres artistes. Je suis musicien, et ce sont des artistes qui m’ont présenté à d’autres artistes en me disant, par exemple, il faudrait voir ce jeune, là-bas, il partage son studio avec un ami, ou alors, il faut regarder ça ou ça… Donc de bouche-à-oreille et surtout par les artistes eux-mêmes. Ensuite, je vais beaucoup dans les foires et les galeries, surtout dans des foires mineures. Parce que dans les grandes foires, on voit à peu près toujours les mêmes galeries, avec à peu près toujours les mêmes artistes, et en fin de compte, presque toujours les mêmes œuvres. C’est donc surtout dans les foires plus « locales » que l’on trouve des choses que l’on ne connaît pas du tout et qui, cependant, peuvent être très intéressantes.
Vous séparez-vous facilement de vos acquisitions, en les échangeant ou en les vendant ?
Il m’est arrivé seulement arrivé une fois de revendre une pièce. C’était une pièce que j’avais achetée sur un coup de cœur, mais qui ne correspondait pas véritablement à ce que je voulais en fin de compte.
Quelle est votre politique de prêt ?
Je prête autant que je peux, aussi bien à des institutions pour des expositions qu’à des amis. En fait, je n’ai pas assez d’espace pour accrocher l’intégralité des œuvres dont j’ai fait l’acquisition chez moi. Donc chez mes amis, il y a aussi des pièces de ma collection.
Quel devrait être, selon vous, le rôle d’un collectionneur dans le monde de l’art contemporain ?
Il faut acheter des œuvres, je crois (rire) et quand on achète, je pense qu’on y contribue de différentes manières. Parce que c’est une manière d’accompagner les artistes que l’on aime, ce qui leur permet de continuer à travailler dans la direction de leur choix. Mais on contribue aussi à valider certaines pratiques ou tendances, tout particulièrement lorsque les œuvres sont acquises par des collectionneurs respectés.
De quel ordre sont généralement vos rapports avec les artistes que vous collectionnez dans la durée ?
Il n’y a pas de règle. Il y en a avec qui j’ai des discussions sur l’art, le monde, l’économie ou l’environnement, alors que d’autres sont davantage soucieux quant au marché et veulent se « positionner ». Il y a des échanges plus strictement artistiques portant sur le moment de mettre fin à une série, afin d’éviter de se répéter, ou sur l’idée d’aller plus loin dans une recherche, ou enfin des questions très pratiques, pragmatiques, sur la production de certaines pièces. Parfois, ça peut être aussi simple que le choix d’un cadre et aller jusqu’à : Comment présenter une pièce numérique ?, ou bien, Peut-on l’exposer hors ligne ou faut-il l’accrocher en réseau ?, ou encore, Est-ce sous la forme d’une séquence vidéo qu’elle doit être présentée ?
propos recueillis par Dominique Moulon
publié dans MCD #78, « La conjuration des drones », juin / août 2015