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    L’œuvre d’Annie Abrahams

    Trois pages de php, une vingtaine d’ordinateurs connectés, autant de personnes écrivent pendant 30 minutes ensemble en ajoutant en effaçant trois textes. Ainsi l’artiste du réseau Annie Abrahams présenta-t-elle en 2009 à la Chartreuse de Villeneuve Lez Avignon trois expérimentations d’écriture partagée.

    sonde 01#09 – Les matérialités de l’écrit, Annie Abrahams. Photo: © Marie-Laure Cazin.

    Les spectateurs présents assistèrent alors à un phénomène étrange : l’acte d’écriture auquel ils participaient était devenu un combat. Le texte final était destiné à être lu. Dès lors, pour être lu, il fallait jouer des coudes, en modifiant, en effaçant la parole de l’autre, en écrivant plus vite et plus longtemps que l’autre, en saisissant le kairos, ce moment opportun grâce auquel un vainqueur finit par s’imposer.

    Comme souvent, les dispositifs et protocoles d’Annie Abrahams font écrire la folie. « Fait écrire », car depuis quelques années, les machines d’écriture d’Annie Abrahams n’écrivent pas, elles font écrire. Annie Abrahams est une artiste du réseau depuis 15 ans. Ses œuvres de littérature numérique et de net art (Being Human, 1997-2007) parlaient déjà du rapport douloureux du corps à la machine. Depuis 2007, Annie Abrahams propose des performances en ligne impliquant la figure de l’autre. Pour interroger la solitude.

    Car il ne va pas de soi que l’interconnexion des machines ait supprimé la solitude. Bien au contraire. Les relations humaines se construisent par l’attention portée à l’autre, à ses gestes, à ses rythmes, à son visage, et non par ce qu’il veut bien nous raconter ou nous montrer par l’intermédiaire du réseau.
    Aux protocoles extrêmement précis et répétés, impliquant des personnalités fort diverses, les performances en ligne d’Annie Abrahams, tels que The Big Kiss (2007), Huis Clos No exit (2009), Angry Women (2011), ne cèdent rien aux utopies d’une société qui serait pacifiée et heureuse par le simple jeu des machines. Annie Abrahams commence par le commencement, c’est-à-dire par les relations intersubjectives – les affects et les affections auraient dit Spinoza –, bref par l’éthique, pour mieux retrouver la politique.

    Emmanuel Guez
    publié dans MCD #66, « Machines d’écritures », mars / mai 2012

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