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    Makers Nord Sud contre le coronavirus

    ouvrir les solutions de santé au niveau planétaire

    Le Réseau Bretagne Solidaire, le Réseau Français des Fablabs et le Réseau Francophone des Fablabs d’Afrique de l’Ouest s’associent avec les mondes de la santé, de la recherche et de l’entreprise pour doter les fablabs africains en machines et consommables. L’objectif : fabriquer sur place les dispositifs de protection, prévention et détection de la Covid-19. Tour d’horizon.

    Makers Nord Sud contre le coronavirus. Photo: © Blolab – Bénin.

    Devant la pandémie mondiale de Covid-19, chaque pays fait face à des besoins en masques et visières de protection, respirateurs, lits, personnels formés à la réanimation, en particulier les pays d’Afrique de l’Ouest, déjà sous-dotés en infrastructures et matériel sanitaire.

    Pour répondre aux besoins, les makers africains se mobilisent déjà pour apporter des solutions simples, peu coûteuses et efficaces dans la détection, le traitement et la prévention de la Covid-19. L’initiative “Makers Nord Sud contre le coronavirus” conjugue les capacités des réseaux Bretagne Solidaire, Réseau Français des Fablabs et Réseau Francophones des Fablabs d’Afrique de l’Ouest pour une mise en capacité des fablabs locaux afin de soutenir les systèmes de santé par une production locale durable de dispositifs sanitaires, tout en soutenant les actions globales des fablabs africains.

    Création du ReFFAO en 2018. Source ReFFAO.org. Photo: D.R.

    Un réseau dynamique de fablabs en Afrique de l’Ouest francophone

    Ils et elles s’appellent Ahmadou, Diarra, Gildas, Modou, Ghislain, Marie ou Medard. Ils sont au Sénégal, en Mauritanie, en Côte d’Ivoire, au Burkina Fasso, au Mali, au Bénin, et dans toute la Communauté Des Etats d’Afrique de l’Ouest (CDEAO).

    Ces hommes et ces femmes font partie d’un des plus gros réseaux continentaux de fablabs dans l’hémisphère sud : le ReFFAO, Réseau Francophone des Fablabs d’Afrique de l’Ouest, fondé en 2018, et organisateur chaque année de Make Africa à Cotonou au Bénin.

    Vingt-sept fablabs coopèrent maintenant dans une dizaine de pays avec la particularité de composer et de réinterpréter localement la manière de faire et de partager des solutions de terrain. Adaptées aux contraintes locales, elles sont empreintes de la richesse des diversités culturelles, mais aussi guidées par le sens de leur action.

    Avec le projet Hub Cité, le travail de l’anthropologue et architecte Sénamé Koffi Agbodjinou, fondateur de L’Africaine d’architecture et des WoeLabs au Togo, se situe ainsi aux antipodes de l’approche des smart cities européennes et intègre low-techs et participation. Le projet est ainsi plus près des principes d’autonomie productive locale défendus par le réseau des fab cities. Pour exemple, les lave-mains anti-coronavirus (comme le Dane Corona du Senfablab) sont mécaniques et conçus pour des lieux publics extérieurs, loin des distributeurs incorporant de l’électronique ou des prototypes pour salle de bain individuelle.

    La prise en compte des enjeux d’égalité (sexe, handicap, accès, etc.), d’éducation/formation et de l’urgence climatique est également au cœur des préoccupations. Cela va jusqu’à la recomposition d’ordinateurs (Jerry DIT), le croisement entre création et fabrication numérique dans l’art-thérapie pour aider des victimes de guerre et de violences à se reconstruire (Yop Crealab, Côte d’Ivoire), ou l’éducation des enfants exploités sur les sites d’orpaillage (Wakatlab, Burkina Fasso).

    Carte des fablabs en Afrique de l’Ouest. Photo: © Armelle Chaplin/Martin Lozivit – Metropolitiques.eu

    Une mobilisation de terrain engagée dès le mois de mars

     

    À ce jour, plus de 6000 visières ont été imprimées et montées au profit des hôpitaux et centres de santé, plus de 200 systèmes de lavage de mains automatique à partir de matériels recyclés. Six respirateurs artificiels développés, plus de 9000 masques alternatifs cousus et distribués ; des distributeurs automatiques de gel désinfectant collectifs en lieux publics ont été conçus et installés. De nombreux exemples sont disponibles sur la page COVID 19 du réseau africain. Mais la reconnaissance institutionnelle, les stocks de matériaux (on ne produit pas de filament pour imprimantes 3D dans la CDEAO !) et l’équipement sur place restent loin des nécessités liées aux enjeux démographiques.

    Une alliance vertueuse d’acteurs issue du cœur de crise du coronavirus

    Depuis trois ans, des actions communes sont réalisées au travers d’un triangle partenarial croisant le ReFFAO, le Réseau Français des Fablabs, et Tiers-lieux Edu. Après Fair Langue, opération impressionnante croisant fablabs et pédagogie avec le réseau Tiers-Lieux Edu, et l’arrêt du projet “Je fabrique mon matériel pédagogique” prévu en main 2020 du fait de la crise sanitaire, le projet Makers Nord sud contre le coronavirus rassemble aujourd’hui de nouveaux acteurs remarquables par leurs différences et complémentarités. En effet les partenaires historiques ont rencontré en cœur de crise du coronavirus de nouvelles forces partageant le désir de solutions croisant communs, santé et fabrication distribuée.

    Au cœur du projet, opère une organisation ancienne, peu familière du monde des « makers », mais réunissant plus de 40 associations solidaires nord-sud connaissant la réalité, le terrain, les villes et les campagnes d’Afrique et d’Asie : le Réseau Bretagne Solidaire. À son actif : des dizaines de projets de coopération, une connaissance des milieux diplomatiques, des appels à projets et un pragmatisme de terrain. Le connecteur entre ces mondes est Martin Lozivit, un géographe ayant travaillé deux ans à Cotonou, mais aussi fréquentant le Low Tech Lab, et administrateur du Réseau Bretagne Solidaire. Il était (avec Hugues Aubin (RFFlabs) et le Woelab (Togo) – ndlr) à Make Africa 2019 pour parler fablabs et villes durables.

    Respirateur artificiel créé par ENCI, Ecoteclab, M.Akakpo ; TIDD – Togo. Photo: © reffao.org

    D’autres acteurs d’envergure se positionnent désormais comme moteurs dans la dynamique en proposant leurs ressources : Just One Giant Lab et ses 5000 développeurs pour l’organisation de communautés de recherche et de conception ouverte ; l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (AP-HP) avec Roman Khonsari, Philippe Cochin, architectes du projet Covid3d pour la partie de mise en relation avec le milieu médical et la validation scientifique des prototypes. Ils sont les chevilles ouvrières de la première ferme d’imprimantes 3D professionnelle installée à Cochin-Port-Royal durant le confinement en France (20 000 objets fabriqués, dont des dispositifs médicaux utilisés sur le terrain).

    Ahmadou Diallo, de la African Airbus Community, un réseau informel et puissant de bonnes volontés maillant le grand continent pour soutenir des projets humanistes, apporte le soutien de milliers d’ingénieux(ses) et ingénieur(e)s. Il ne s’agit pas là d’argent, mais de mise en relation de compétences multiples, de possibilités d’usiner des pièces rares ou chères. Cette communauté aujourd’hui appuyée par le Conseil Présidentiel pour l’Afrique partage contacts, ouvre des portes, et porte elle-même le projet SN3DCOVID19 sur Dakar, un collectif citoyen réunissant une dizaine d’organisations sénégalaises (startups, associations, écoles, universités) pour s’entraider et collaborer dans la lutte contre la Covid-19.

    Le Labsud, fablab de Montpellier, offre lui ses plateformes numériques pour travailler, et son carnet d’adresses dans le monde médical et à la région Occitanie. Indiens Dans la Ville, fondateur de l’Atelier commun à Rennes, apporte sa connaissance du surcyclage plastique. Les Rennais de My Human Kit, pionnier international dans le croisement makers et santé avec Nicolas Huchet, sont évidemment de la partie. Le projet associe donc réseaux francophones de fablabs (240 lieux dans 11 pays au total), professionnels de la santé, plateformes de développement open-source collaboratives, acteurs de la solidarité internationale, makers-artistes et entreprise industrielle.

    African Airbus Community. Photo: © Ahmadou Diallo

    Équiper pour soigner, surcycler le plastique pour alimenter la fabrication locale

    Deux grandes actions sont programmées par l’initiative Makers Nord Sud contre le coronavirus. La première vise le soutien en équipement de 10 fablabs dans 8 pays de la CDEAO, pour épauler les fabrications et prototypages en cours. Une liste détaillée de matériels (machines, composants, électronique) a été établie à cet effet après un appel aux fablabs ouest-africains. Une cartographie conçue avec Thomas Sanz, chercheur membre de l’association Vulca et bénévole au Réseau Français des Fablabs, permet également de recouper les lieux de soins avec les fablabs et makerspaces. Elle démontre la proximité entre besoin et réponse ultra-locale, car de nombreux fablabs sont situés à côté d’hôpitaux, certains leur fournissant déjà du matériel.

    La deuxième action consiste dans le montage, avec l’appui d’Indiens Dans la Ville (Rennes) d’une machine Precious Plastic à Cotonou (Bénin). Cette machine permet la transformation de déchets plastiques notamment pour l’impression 3D, le moulage. Pendant la crise épidémique, l’association Indiens Dans la Ville, mobilisée aux côtés des couturières masquées, a finalisé une étape technique décisive : le contrôle et la maîtrise du diamètre du filament pour imprimantes 3D fabriqué avec des déchets plastiques. Cet outillage (lui-même open-source évidemment) pourra être adapté aux contraintes locales et permettra de ne pas dépendre d’importations de bobines plastiques pour l’impression 3D, et de tester la fabrication, à proximité de lieux de soins et des publics, à la fois des consommables et des objets tels que les supports de visières, les appui-portes, etc.

    Precious Plastic Rennes. Photo: © IDLV

    Un financement de 175 000 € pour un programme sur 8 pays d’Afrique de l’Ouest

    L’objectif de tous les partenaires est de convaincre de grands acteurs légitimes tels que l’Organisation Internationale de la Francophonie (engagée dans de nombreux projets de solidarité Covid-19), l’Agence Française de Développement et toutes les bonnes volontés de soutenir financièrement ce projet, puis, si nécessaire, d’actionner tout complément tel qu’un financement participatif, pour croiser l’énergie des makers africains avec les besoins des établissements de soin et des populations.

    Depuis le mois de mai, l’initiative multiplie les contacts avec de nombreuses organisations bienveillantes et concernées  : Institut de Recherche pour le Développement avec son programme de recherche-action en appui à la riposte africaine à l’épidémie de Covid-19 (ARIACOV), ambassades, Organisation Internationale de la Francophonie, Fondation de France, Régions et territoires (Occitanie, Bretagne, Rennes…).

    Le projet vise un déploiement avant fin 2020, et bien entendu une extension dans le temps et dans l’espace, pour faire santé autrement, dans un modèle au final assez proche de l’idéal de la Fab City Foundation : partage et création planétaire de solutions dans le bien commun de l’humanité, et fabrication légale et distribuée par les acteurs locaux.

    Banque de solutions open source pour la santé d’OSMS. Source OSMS – 15/06/2020. Photo: D.R.

    La santé ouverte comme horizon

    Ces collaborations improbables se sont tissées en cœur de crise pandémique pour explorer des chemins nouveaux. L’une d’entre elles a permis de faire fonctionner une boucle complète d’innovation ouverte dans le registre des dispositifs médicaux open source. Il s’agit du projet appelé « open santé » par le Réseau Français des Fablabs, et qui a réuni à la fois JOGL, le groupe discord Entraide Covid-19, l’AP-HP, le Réseau Français des Fablabs, Fab and Co, les groupes facebook Makers contre covid, et “Visière solidaire”, le groupe rassemblé par la youtubeuse Héliox et la plateforme Covid3d.fr, Covid-initiatives, le médialab de Makery, etc.

    Le principe consiste à inventer une boucle continue capable d’intégrer des inventeurs de solutions et de plans pour répondre à des besoins dans le registre de la santé, en incorporant tri des modèles fabricables, prototypage rapide, validation médicale, publication et dissémination sur internet adaptés à quatre types de fabrication (particuliers, fablabs, entreprises, industriels), fabrication et utilisation légale. Elle a été présentée le 11 juin à la fin d’une émission spéciale de Make Magazine.

    Makers Nord Sud contre le coronavirus veut développer ce modèle avec les fablabs, les acteurs du soin et les autorités des pays d’Afrique de l’Ouest et des pays du sud, pour démontrer un processus rendant légale la fabrication sur place d’objets de diagnostic, de prévention et de soin dont les plans sont en open source. Ceci change complètement la donne quand on connaît la part de l’amortissement de la recherche & développement et de la normalisation dans le coût des dispositifs médicaux, ainsi que les problèmes de réparabilité des dispositifs importés (jusqu’à 80% pour une prothèse par exemple).

    Processus cadre d’open-santé. Photo: © Hugues Aubin – Sabine Zadrosynski.

    Un enjeu mondial, des projets intercontinentaux

    Déterminée à ouvrir les solutions de santé au niveau planétaire et à en permettre une fabrication distribuée, la toute nouvelle plateforme américaine Open Source Medical Supplies, née de l’alliance des makers pendant la crise du coronavirus aux États-Unis et désormais appuyée par la Food and Drug Administration (FDA), déploie actuellement un projet similaire dans le monde entier, et notamment sur l’Afrique anglophone. Rencontrée dans le cadre du montage du projet francophone, elle propose avec Translation Commons l’aide de 600 traducteurs et un guide des aides médicales open source réalisé outre-Atlantique. Le recoupement des deux projets (Makers Nord Sud et OSMS), issus de l’invention de circuits nouveaux dans des cadres légaux dérogatoires pendant la crise, adresse désormais potentiellement une cinquantaine de pays.

    La santé ouverte va-t-elle prendre son essor ? 

    À l’heure où l’on parle de formules de vaccins open source pour la Covid (par exemple avec Open Source Pharma Foundation en Inde et en France), la santé ouverte porte l’espoir d’une redistribution planétaire des cartes en incarnant une santé participative et surtout distribuée. Elle tente maintenant de tirer le meilleur des dispositifs de crise pour inventer non seulement des objets, mais aussi un environnement systémique qui change la donne, la santé, et déplace une partie de la valeur économique dans les pays concernés. Un espoir qui concerne, au-delà du coronavirus, des centaines de millions de personnes dans le monde.

    Hugues Aubin
    publié en partenariat avec Makery.info

    Contact Makers Nord Sud: contact@makersnordsud.org

    Cette série d’enquêtes est soutenue par le fond d’urgence Covid-19 de la Fondation Daniel et Nina Carasso.

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