Témoignages de la mobilisation
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Makery livre des témoignages collectés auprès des lieux de fabrication et volontaires fédérés au sein du collectif Makers x Covid Paris. Après le photo-reportage embarqué où l’on a pu suivre la livraison de matériel de la plateforme Makerscovid.paris, Makery valorise la parole de celles et ceux qui ont mis leurs énergies et compétences en commun pour répondre à l’urgence de la crise. Récit de la mobilisation à Paris pour soutenir soignants et personnels exposés.
Micro-usine de fabrication urbaine
Au départ il y a ce foisonnement d’initiatives sur Paris et un peu de frustration à savoir comment contribuer, quel collectif rejoindre, quels outils mettre en place pour s’organiser à plusieurs, identifier les besoins matériels ou répondre aux demandes des personnels soignants et exposés, tout en étant chez soi.
« On ne voulait pas initier un mouvement de plus, et rendre le terrain encore plus flou et complexe pour ceux qui souhaitaient s’impliquer. Dans l’urgence, nous nous sommes finalement résolus à créer notre propre fichier de coordination dans l’attente d’une coordination plus large. (…) En observant les premières frictions liées aux questions de gouvernances et représentation, il nous a été important de faire ça sous un nom neuf et neutre : makerscovid.paris. » (Quentin Perchais, Woma)
« La création d’une plateforme commune d’échange et d’organisation, d’abord très informelle (sous forme d’appels, d’échanges téléphoniques) puis prenant plus forme (un Excel partagé, un serveur slack, des formulaires, un site) a véritablement permis de coordonner l’action de production des différents acteurs du réseau. Cela nous a fait gagner du temps, de l’énergie et surtout nous a placé en mesure de répondre aux importantes demandes émanant des CHU et autres établissements. » (Antonin Fournier, simplonlab)
« Ça a commencé avec un groupe d’acteurs proches que nous formions avec Volumes, Woma et Ars Longa. Puis, l’Atelier des amis, Mon atelier en ville et l’Electrolab, qui étaient les premiers labs impliqués, ont porté une partie de leur fonctionnement sur un tableur commun. Finalement, avec les demandes grandissantes, de la Mairie de Paris, de l’Armée du Salut, on s’est vite retrouvé une vingtaine de lieux de fabrication à répondre aux demandes et à coordonner nos actions. (…) Nous avons finalement produit un micro-site pour centraliser les informations de demandes, de participations et de dons. » (Quentin Perchais, Woma)
L’ampleur du besoin en matériel a aligné l’ensemble des acteurs sur un modèle de visières facile à produire et à monter : la version « Folded », conçue par Aruna Ratnayake à Volumes, fabriquée à la découpe laser et validée par l’hôpital du Kremlin-Bicêtre. Les différents labs impliqués le reconnaissent, c’est cette rapide coordination inter-structures qui aura permis d’optimiser une partie du travail (gestion des demandes, approvisionnement en matière, livraison) permettant aux makers de se concentrer sur la production – de visières ou de masques essentiellement.
Maillage solidaire d’ateliers flexibles
« Vous avez des besoins en matériel sanitaire, vous voulez effectuer une commande, ou vous cherchez plus », l’onglet « Demander » sur la plate-forme référence les modèles produits (visières, masques tissu, surblouse et pyjama, attache masque, ouvre-portes, adaptateur valve masque V26) et ceux en cours de développement.
Homemakers est un fablab spécialisé textile et design à Paris (on vous en parlait ici). Très vite, la structure met à disposition son parc machines pour la fabrication de visières puis s’oriente vers son cœur de métier, la production textile. Julia (présidente de Homemakers) et Gilles Bessard du Parc (bénévole à temps plein) reviennent sur les débuts de leur mobilisation.
« Homemakers a intégré le mouvement Makers contre le Covid le 30 mars. Étant inquiets pour nos proches et choqués de voir le nombre de décès augmenter jour après jour, nous avons entrepris cette démarche de production et sommes rentrés rapidement en contact avec notre réseau de fabeurs ainsi que nos familles, amis, voisins via les réseaux sociaux. Nous nous sommes rapprochés de Minh (Fab City Grand Paris) et avons été intégrés de suite dans la coordination de fabrication de matériel sanitaire.
« Nous avons commencé avec la production de supports de visières de protection (impression 3D puis découpe laser) et nous nous sommes réorientés vers la fabrication de masques. Au vu de notre expertise dans le textile et suite à des recherches dans les cahiers des charges, modèles de masques communiqués par l’AFNOR, nous avons été très vite intégrés au pôle textile avec un lead sur la fabrication des masques. Aujourd’hui, nous avons un réseau d’une quinzaine de bénévoles sur place – en roulement et une quarantaine de bénévoles à distance. Nous leur en sont extrêmement reconnaissants et remercions nos héros silencieux qui se sont mobilisés avec nous. » (Homemakers)
Minh Man Nguyen est président de l’association Fab City Grand Paris qui s’est constituée dans l’objectif de développer/favoriser/relocaliser la capacité productive de Paris et sa proche banlieue.
« Face à la crise sanitaire et pour répondre à l’urgence, la Mairie de Paris s’est appuyée sur FCGP pour une commande de 2000 visières. Celle-ci a été contractée et honorée en moins d’une semaine grâce à un maillage d’ateliers flexibles capable de produire en masse. Près de 14 000 visières ont été fabriquées et distribuées ces 2 dernières semaines prouvant la capacité d’adaptation des fablabs et makerspaces pour pallier le temps d’adaptation des industriels à la commande.
« Les tiers-lieux en plus d’être productifs sont des points relais pour les citoyens-makers qui impriment et assemblent depuis leur habitation. Ils fournissent matières et logistiques. Notre association a ainsi facilité la centralisation des achats (notamment permis grâce à une avance de trésorerie puis par la collecte de fonds), le sourcing de la matière première grâce à certains partenariats et la logistique du flux de matières. » (Minh Man Nguyen, Fab City Grand Paris)
Ré-inventer la chaîne de production
Antonin Fournier, le fabmanager du simplonlab (fablab solidaire de l’entreprise Simplon) évoque le double effort de coordination, entre les structures du collectif Makers X Covid Paris, mais aussi en interne, pour réussir à produire le matériel demandé dans des délais très courts.
« Les premiers jours étaient vertigineux tant il y avait de paramètres à prendre en compte : les matériaux et leurs disponibilités chez les éventuels fournisseurs, les différents prototypes circulant en open-source et leur validité, la priorisation des demandes entrantes, l’organisation interne des fablabs pour être en mesure de produire en sécurité, le financement des achats de matériaux… »
« En quelques jours notre fablab s’est transformé en une véritable petite usine de quartier, accueillant une dizaine de personnes venant d’horizons variés (groupes d’entraide sur Facebook, écoles de mode, structures associatives du quartier…). Celles et ceux qui reviennent quasiment tous les jours maîtrisent maintenant les chaînes de production de bout en bout et peuvent aider à l’accueil des nouveaux.elles venu.e.s. » (Antonin Fournier, simplonlab)
Baptiste Doublet Dégremont est designer textile et artiste résident au simplonlab : « Mettre en place un réseau de production en temps de crise sanitaire, ce n’est pas une mince affaire. Mais c’est se qu’on a fait avec le simplonlab, ou je suis (en temps normal) artiste résident. On a fait ça parce qu’on a entendu l’appel à l’aide des hôpitaux. Littéralement. Parce que si on ne le fait pas, qui le fera ? » (Baptiste Doublet Dégremont, simplonlab)
Les compétences mises à profit dans cette chaîne de production solidaire sont multiples. On pense à l’équipe de Carton Plein, mobilisée aux côtés des nombreux fablabs et makers Franciliens, pour récupérer les visières produites dans les ateliers et les redistribuer « à la seule force de nos mollets, sur nos biporteurs et vélos remorques » auprès des hôpitaux, centres de dépistage, EHPAD, cliniques, etc.
Ou encore Marie Boussard, fabmanageuse à Villette Makerz, qui a mis à profit les outils de sa structure et son savoir-faire pour produire des visières de protection. Marie est aussi designer-illustratrice, elle a proposé au collectif des illustrations qui ont servie pour la plate-forme makerscovid.paris et pour la mise en place d’affiches et de flyers. Makers x Covid Paris : « Communiquer sur nos actions permet de récolter des dons pour l’achat de matières premières et donc de produire, la boucle est bouclée ! »
Les demandes persistent, les questions demeurent
Si toutes les structures partie prenantes du collectif ont toutes eu un coup de boost (urgence, élan de solidarité, rapidité et efficacité de la coordination, gestion intelligente des stocks), de nombreuses questions demeurent pour l’après-covid et la cohésion de ce collectif spontané. « Que doit être la ville de demain pour pouvoir faire face à d’autres crises ou pour être en capacité à les prévenir ? Comment pérenniser une production en garantissant une certaine qualité tout en restant viable financièrement ? » s’interroge Minh Man Nguyen.
La question de la coopération à moyen-long terme est dans tous les esprits. « L’enjeu me paraît de réussir à conserver cette dynamique de coopération au-delà de la période de lutte contre le covid-19, pour maintenir cette ‘force de frappe’ dont fait preuve le réseau. » (Antonin Fournier, simplonlab)
« Mon espoir… cela fait plusieurs années que l’on travaille à coopérer entre lieux de fabrication. En 2 semaines, infiniment plus été fait en collectif que ce que nous avions pu porter précédemment ! Avoir une utilité réelle, produire de manière distribuée, faire discuter ensemble les différents labs, et maintenant, notre prochain challenge, trouver les conditions de la coopération ! » (Quentin Perchais, Woma)
La mobilisation se poursuit.
Catherine Lenoble
publié en partenariat avec Makery.info
La plateforme et la cagnotte Makers x Covid Paris.