art, innovation et cultures numériques
Retour sur la troisième édition du Mirage Festival qui s’est déroulée du 25 février au 1er mars dernier à Lyon. Avec une fréquentation en hausse (7000 visiteurs contre 4500 pour la précédente), la manifestation a prouvé que l’union de propositions innovantes autour d’une volonté fédératrice des acteurs des arts numériques — mais aussi d’une ouverture au grand public — était le bon choix. Une édition réussie donc, subrepticement tournée cette année vers cette « archéologie des médias » dont nous vous parlions dans le numéro 75 de MCD, et qui mixait durant cinq jours technologies high-tech et inspirations low-tech dans un même élan créatif.
Où en sont les arts numériques aujourd’hui ? Vaste question, à laquelle répondait en partie la troisième édition du festival Mirage de Lyon. Les arts numériques en question, prit dans la globalité de leur histoire désormais pérenne prétendent incarner un champ de transgression, d’unification, d’échange et d’hybridation aux propositions quasi infinies, rendues possibles par l’élan technique (voir « techniciste ») de nos sociétés, transformant l’artiste en ingénieur, le créateur en technicien (et inversement !). Bref, ils représentent un bouleversement de tous les codes communément acceptés comme étant ceux du monde de l’art. Ou bien, tout simplement, n’est-ce pas l’aboutissement de l’acte artistique d’aujourd’hui ? En phase avec les évolutions techniques et cognitives de notre temps. Des questions qui étaient justement au cœur de cette édition du festival Mirage, avec ses constants croisements de techniques et d’époques, ses pôles de réflexions aussi (*), dans une ville marquée d’histoire et concentrant de nombreuses volontés, de non moins nombreux acteurs et de multiples lieux aptes à accueillir le fruit de ces recherches.
Mirage en mode nomade
Initié depuis trois ans maintenant par l’Association Dolus et Dolus (Simon Parlange, Jean-Emmanuel Rosnet), le festival Mirage vivait cette année son baptême du feu. Une troisième édition charnière donc, qui installe l’évènement dans la cartographie des propositions culturelles lyonnaises et marque le passage d’un festival « d’initiés » à celui de rendez-vous incontournable des amateurs d’art, d’innovation et de cultures numériques, puisque tel est son intitulé. Un festival qui s’inscrit également dans une mosaïque de lieux, plus par nécessité que par réel choix, mais qui se fait aussi l’écho de la diversité des lieux impliqués dans ses démarches novatrices. Ainsi, nous pouvions découvrir et participer aux œuvres présentées cette année un peu partout sur les pentes de la Croix-Rousse dans le premier arrondissement, dans différentes galeries ou lieux d’exposition.
Le tissu lyonnais en la matière étant exceptionnellement étendu, des performances, Think-Tank et Tech-Tank, mais aussi concerts et installations étaient présentées aux Subsistances (Lyon 1), à Pôle Pixel et au Club du Transbordeur (Villeurbanne), ainsi qu’au Sucre (Lyon 2). Des lieux que les Lyonnais connaissent déjà comme étant les places fortes de la diffusion culturelle. Un symbole pour commencer : le vernissage de la manifestation investissait le Réfectoire Baroque du Musée des Beaux-Arts de Lyon, dont les hauts-reliefs stuqués de Guillaume Simon (1671-1708) se virent ranimés par Folds et Stain, les installations vidéo-morphiques et troublantes de l’artiste Berlinois Robert Seidel !
To the future…
Il est toujours difficile de témoigner de l’effervescence d’un festival et de donner une vue d’ensemble d’un évènement par essence hétérogène. S’il fallait un thème unificateur, nous pourrions parler de l’omniprésence du croisement des démarches et des époques faisant se percuter ancien et moderne. Qu’il s’agisse de Kepler’s Dream, l’installation des Allemands Ann-Katrin Krenz et Michael Burk à la galerie Sunset (QG du festival) : un savant mélange de haute-technologie (le cœur de cette pièce étant réalisé en impression 3D) et d’esthétique steampunk, ou bien du Timée de Guillaume Marmin et Philippe Gordiani présentée à la Galerie Terremer, et de Golem (Arnaud Pottier – BK / Digital art company) à l’Espace Altnet, tous se réfèrent au passé, à l’histoire (du monde, des idées, de l’art). Quand Kepler’s Dream s’inspire des théories de l’astrophysicien du même nom, Timée, œuvre immersive faites d’images et sons, puise son essence dans l’harmonie de Platon, tandis que Golem, sculpture augmentée, évoque le concept de « l’inquiétante étrangeté ».
… and back
De leur côté, Marcelo Valentes et Julien Grosjean proposaient deux œuvres complémentaires utilisant d’anciennes technologies audios (platines vinyles pour l’un, magnétophone pour l’autre). Stroboscopia était le prétexte d’une histoire du Brésil revisitée à base de disques « customisés », de collages et brisures sur des platines équipées de microscopiques caméras numériques. Tandis La Chambre Rouge, installation participative visuellement attractive, mêlait machines archaïques (micro, Revox) pour un commentaire sur l’évanescence du son et l’histoire des archives sonores. Histoire toujours, grande et petite, celle du cinéma et celle de l’univers, avec Big Bang Remanence de Joris Guibert et Projectors de Martin Messier, deux artistes/bricoleurs passés maîtres de la manipulation analogico-numérique. Le Français a raconté la naissance du monde, trafiquant en direct l’énergie pure du bruit blanc généré par d’antiques téléviseurs, tandis que le Canadien se livra à une performance physique et technique époustouflante, mêlant installation, vidéo et musique électroacoustique à partir de vieux projecteurs Super 8 augmentés.
Du côté de l’innovation…
L’innovation et la réflexion prospective (ou introspective) avaient, bien évidemment, également sa place dans le cadre de cette manifestation lyonnaise. Avec l’installation participative Screencatcher de Justine Emard, plasticienne férue de nouvelles technologies, nous avons pu tester les possibilités de la réalité augmentée, technique appelée à être largement utilisée dans le champ de la création numérique du futur. Idem pour LPT1 de Hugo Passaquin qui offrait au public la possibilité de participer activement à l’élaboration d’une œuvre numérique en temps réel grâce à ses smartphones. Au Lavoir Public, les curieux ont pu également découvrir Hyperlight de Thomas Pachoud. Une œuvre immersive et performative en constante évolution qui unit danse (interprétée par Thalia Ziliotis), musique (David Guerra) et technologies lasers.
De la musique, il y eut aussi durant tout le festival. Tout d’abord avec les performances Live AV du Franco-Américain Pierce Warnecke, et celle du Français Franck Vigroux à la Salle Garcin. Deux moments forts, mettant à mal le corps et l’esprit, sous l’effet d’une peur panique de la désorientation visuelle et sonore tout d’abord (Warnecke), puis sous le choc de la noise industrielle corrosive et puissante (Vigroux). Ensuite, ce furent les prestations du duo Sidekick (transfuge du trio lyonnais Palma Sound System) au Lavoir, et celles des labels 50 Weapons et Creme Organisation au Sucre. Pour conclure, le Mirage se déplaçait au Transbordeur en invitant Fulgent, producteur lyonnais dont la techno à la fois mélodique et abrasive a ravi les fans, et Kangding Ray, artiste français signé sur le label Raster Noton (Alva Noto, Frank Bretschneider) désormais installé à Berlin. Parfait mélange d’énergie et de (retro)futurisme noir à la Blade Runner, leur musique était le point d’orgue (électronique) d’une semaine riche en propositions.
Maxence Grugier
publié dans MCD #78, « La conjuration des drones », juin / août 2015
Site: www.miragefestival.com
(*) À noter l’élaboration cette année du Mirage Open Creative Forum, co-organisée avec AADN, journée de réflexion et temps d’échange créatifs autour de l’avenir des arts numériques.