Liberté et révolution sur la toile : qu’il s’agisse du libre accès aux sites en P2P, de la lutte contre les blogs xénophobes ou de l’aide apportée aux partisans de la démocratie dans les pays arabes, Telecomix se présente comme l’un des collectifs de hackers les plus actifs sur le terrain technologique.
Dans le sillage et en parallèle de la mobilisation des réseaux sociaux autour des différents mouvements révolutionnaires dit du « printemps arabe », le collectif anonyme d’hacktivistes Telecomix s’est principalement fait connaître à partir de 2009 par une série d’opérations visant à soutenir les luttes démocratiques menées dans ces différents pays du Maghreb et du Moyen-Orient, depuis l’Égypte et la Tunisie jusqu’à la Syrie encore aujourd’hui.
À l’origine, les membres de Telecomix proviennent de différents milieux activistes web (The Pirate Bay, la Quadrature du Net, ou les défenseurs des droits au peer-to-peer suédois de Piratbyrån, entre autres). Ils se sont tout d’abord réunis pour se mobiliser contre une proposition de loi discutée au Parlement européen sur la surveillance du web et sur la conservation des données numériques. Leur premier objectif, fondamental, est donc celui de la défense des libertés de communication partout dans le monde.
Groupe anonyme au départ, le collectif s’est davantage « ouvert » ces dernières années — ses membres (estimés au total à environ 250) prenant la parole sous leur véritable identité, même si le discours général de Telecomix reste nettement ancré dans un style volontairement symbolique — au-delà de l’utilisation de multiples logos, les notes d’intention du collectif sur son site font ainsi référence à tout un tas d’axes de « désorganisation politique » autant imagés que chaotiques, mettant en avant les concepts de « machine abstraite », de « données affectives » ou « datalove », et autres concepts entendant promouvoir des principes théoriques de relations entre l’humain, la machine et le robot — et incarné, par exemple, par l’existence au sein du réseau d’un bot, nommé cameron, véritable représentation informatisée du groupe.
Darknet et champs de bataille technologique
Au-delà de cette rhétorique parfois assez nébuleuse, relevant d’après le collectif lui-même d’un discours fortement teinté de crypto-anarchisme, Telecomix trouve une résonance plus concrète dans ses différents projets et opérations. En terme de liberté de circulation sur la toile, le collectif offre ainsi le service Streisandme (en référence à l’effet Streisand qui se caractérise par la promotion non désirée d’informations) qui permet de mettre en place un site miroir sur son ordinateur afin de pouvoir accéder incognito à des sites censurés ou bloqués.
Telecomix héberge également un service de recherche basé sur Seeks, un moteur de recherche P2P open-source axé sur la protection de la vie privée des utilisateurs et des requêtes de recherche initiales effectuées par ces derniers. Telecomix offre enfin des accès à des canaux de discussion privés — et donc normalement non surveillés — via des réseaux IRC (Internet Relay Chat) constitués de plusieurs serveurs indépendants connectés. Des accès qui offrent, via un système de « tunnel », une plongée dans le monde secret du darknet (la face cachée du web), passant par exemple par des réseaux informatiques superposés libres comme Tor. C’est d’ailleurs en accédant à leur channel IRC que la majorité des informations du collectif circulent vers les différents membres ou contacts.
Car, c’est plus largement dans des actions concrètes sur les « champs de bataille technologiques » actuels que l’action de Telecomix s’est fait le plus ressentir. En 2011, en Égypte, en Tunisie et en Syrie, les hackers de Telecomix ont ainsi offert leur assistance technique aux internautes et autres bloggeurs de ces pays qui s’étaient vus couper l’accès au réseau par les autorités : méthodes de contournement de la censure on-line pour continuer à poster des vidéos des exactions des régimes en place sur les réseaux sociaux; tutoriel vidéo pour apprendre aux internautes locaux comment restaurer les connexions Internet à partir de vieux modems et autres télécopieurs; apprentissage des règles fondamentales pour pouvoir naviguer en toute sécurité cryptée et anonymement sur le web grâce à des outils de cryptage; site de dépêches et de vidéos mis à jour en temps réel; etc. Le collectif a mis sa science de l’intrusion clandestine dans les réseaux au service de la cause démocratique.
#OpSyria
C’est en Syrie, dans ce cadre de l’opération #OpSyria, que s’est déroulé l’épisode le plus médiatique de l’histoire de Telecomix. Cette opération d’investigation web a permis de mettre en lumière les rapports étroits entre le régime syrien et différentes firmes internationales, comme Ericsson — fourniture de matériel de filtrage notamment — et surtout la firme américaine Blue Coat Systems, spécialisée dans la sécurité Internet, qui avait toujours nié jusque là sa présence dans l’ombre du régime de Damas. Quinze appareils de détection de l’entreprise américaine ont ainsi été tracés en Syrie par les hackers de Telecomix. Un pays où, pourtant, les entreprises américaines ne peuvent pas normalement exporter en raison de l’embargo. Ces appareils sont utilisés par le régime pour identifier les personnes accédant aux sites d’opposition, mais aussi pour dérober identifiants et mots de passe, et pour accéder ainsi directement aux comptes privés des citoyens.
Conséquence de cet éclatement géographique des stratégies de Telecomix, différents groupes se sont constitués en relation avec certains pays. C’est ainsi le cas de Telecomix Tunisie qui se veut comme un lieu de rencontres et de ressources pour quiconque veut participer à la création d’un Internet résistant à la censure. Mais à l’échelle globale, Telecomix continue d’être actif aujourd’hui sur des questions sociétales en lien avec la montée du racisme, de l’antisémitisme et de l’islamophobie. En novembre dernier, une réunion organisée à Helsinki, en Finlande, associait ainsi Telecomix à un autre groupe de hackers basé en Suède — le Researchgruppen — afin de révéler leurs techniques pour hacker les commentaires xénophobes postés sur certains blogs et ainsi révéler les adresses IP, emails, mais aussi les noms de certaines personnalités publiques ayant proférées ce type de message sous couvert de l’anonymat. Plus que jamais pour Telecomix, la lutte continue…
Laurent Catala
publié dans MCD #77, « La Politique de l’art », mars / mai 2015
Photos: D.R.
> http://telecomix.org