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    UBERMORGEN

    Hans Bernhard et Lizvlx d’UBERMORGEN ne se considèrent pas comme des activistes politiques, mais comme des actionnistes. De fait, s’il fallait donner un nom à la politique contre laquelle se bat ce duo d’artistes suisse austro-américain depuis la fin des années 90, ce serait « Politic of Terror ». Voilà près de 15 ans maintenant qu’UBERMORGEN subvertit le monde des médias, et particulièrement internet. Leur œuvre, engagée, pluridisciplinaire et multimédia par essence (« super-enhanced » comme ils aiment à le dire) est en constante évolution, tout comme le monde qui l’abrite.

    Ubermorgen, Perpetrator.

    Ubermorgen, Perpetrator. 2008. Photo: © Ubermorgen.

    Hans Bernhard et Lizvlx sont très clairs quand il s’agit de nommer leurs actions artistiques. Héritier du mouvement Dada et des actionnistes viennois, le duo déclarait en 2013 : Nous n’avons aucun agenda politique dans notre travail… Nous ne sommes pas des activistes. Nous sommes des actionnistes dans la tradition expérimentale de l’Actionnisme Viennois — nous utilisons les médias internationaux, la communication et les réseaux technologiques, notre corps est le capteur ultime et immédiat… Ce que nous faisons n’est pas du pop art; c’est de l’art rupestre (1). Depuis 1999, date de leur rencontre, UBERMORGEN s’est fait connaître en créant, entre autres, un site web permettant de vendre (et acheter) aux enchères, des votes pour l’élection présidentielle américaine de 2000.

    Ensuite, Hans Bernhard et Lizvlx ont lancé le débat sur le vote numérique, les tentatives politiques d’assimiler les néo-nazis en Allemagne, la société et l’esthétique de guerre, l’industrie du jeu, l’aspect tentaculaire et suprématiste de Google, ou l’esclavage 2.0 du groupe de vente en ligne Amazon. Aujourd’hui les deux d’UBERMORGEN font surtout parler d’eux suite à leur « adoption » de l’Américain Chris Arendt. Un ex-garde de la prison de Guantanamo Bay, enrôlé par les artistes dans le but de dénoncer les pratiques employées par le gouvernement US sur leurs « black sites » (les prisons secrètes de la CIA).

    Écho de Guantanamo

    La mise en place des « black sites » par le gouvernement et les services de renseignement américains n’est plus un secret pour personne. On le sait depuis la révélation de leur existence par le Washington Post en 2005, divers pays d’Europe dont la Grèce, la Roumanie et la Pologne, abritent des lieux de détentions secrètes et de transferts illégaux de détenus. Dans Superenhanced, vaste projet artistique plurimédia (2), UBERMORGEN invite l’ex-garde de Guantanamo Chris Arendt en le prenant comme modèle et en s’appuyant sur ses témoignages. Mais la collaboration tourne court : profondément perturbé, le jeune homme devient vite incontrôlable. Suite à une crise de délire sévère, il est arrêté et enfermé par la police autrichienne.

    Ubermorgen (Hans Bernhard et Lizvlx) accompagnés de Chris Arendt.

    Ubermorgen (Hans Bernhard et Lizvlx) accompagnés de Chris Arendt. Photo: D.R.

    À la manière des Actionnistes Viennois, les artistes se réapproprieront cet épisode d’hystérie tragi-comique, et l’intègrent à leur travail. Cela deviendra Perpetrator, partie de leur projet Superenhanced sous-titrée avec humour Gonzo research gone bad! Pour la vidéo Superenhanced – V2E1 (3), UBERMORGEN crée un logiciel d’interrogatoire que les visiteurs peuvent utiliser et qui s’inspire des techniques utiliser sur les potentiels terroristes et ennemis de la nation par le renseignement et l’armée Américaine. Au montage, les extraits de la vidéo finale réalisée à partir des choix du public montrent Chris Arendt imitant les attitudes des soldats, saluant, opérant dans des bâtiments qui évoquent la fameuse prison (en réalité filmé à Südbahnhof, une gare désaffectée de Vienne).

    À propos des pratiques comme la torture, le duo UBERMORGEN note : Les événements et les pratiques psychotiques passent inaperçus et nous les acceptons lentement, au fil du temps, pour finir par s’acclimater et se familiariser avec elle. En mêlant des moments de blancheur aveuglante avec la noirceur du black out, se crée un mélange unique de douleur physique et de techniques d’interrogatoire symbolisé par le logiciel que nous avons créé pour l’occasion. Nous n’avons pas à imiter la réalité — notre monde est déjà mis en scène, superficiel et glamour, mais l’utilisateur peut en éprouver la perversion omniprésente (…). Nous rejetons la notion de torture comme légitime défense, mais nous l’acceptons comme partie de la culture rock (4). L’œuvre finale, montée en vidéo, est accompagnée du titre de Rage Against The Machine, Bullet In The Head.

    Magneto avait raison !

    Au sein de la saga X-Men, série de comics crée par le scénariste Stan Lee et le dessinateur Jack Kirby, le personnage de Magneto est un super-vilain dont l’unique but et de contrer les super-héros mutants du Professeur Xavier. C’est aussi le personnage le plus ambigu de l’histoire des comics US. Quand les lecteurs découvrent en 1985 que Magneto est un survivant de la Shoah, on comprend alors son angoisse de voir une race de mutants supérieurs prendre le pouvoir sur la race humaine. Lui qui a subi les horreurs au nom de la suprématie aryenne prônée par les Nazis.

    Ubermorgen, Userunfriendly. Octobre/Novembre 2013.

    Ubermorgen, Userunfriendly. Octobre/Novembre 2013. Photo: © Caroll / Fletcher.

    Au fil de la série, on se rend compte que les agissements de Magneto, aussi dommageables soient-ils, sont en réalité dirigés par une éthique humaniste qui, si elle est discutable, prend sa source dans la peur de l’idéologie totalitaire. Sur une fameuse photo de Hans Bernhard et Lizvlx, accompagnés de Chris Arendt, on peut voir se dernier porter un tee-shirt orné du slogan Magneto Was Right. C’est aussi cette idéologie que veut combattre UBERMORGEN. Celle d’un pays, les États-Unis, dont les visées qu’ils jugent suprématistes et totalitaires font plus de mal que de bien au monde qu’ils occupent.

    Critique plurimédia super-renforcée

    En novembre 2013, le duo d’artistes donne sa première exposition à Londres. Userunfriendly. Comme son titre l’indique (user friendly est un terme informatique signifiant « convivial »), on peut comprendre qu’Userunfriendly signifie tout son contraire et se veut encore une fois provocateur. L’événement est présenté comme suit par le site du galeriste Carroll Fletcher : L’exposition présente des installations, des vidéos, des sites web, des actions, des gravures, des peintures à l’huile numériques pixélisées et des photographies, dans une exploration super-renforcée (superenhanced) et hyper-active, de la censure, la surveillance, la torture, la démocratie, le commerce électronique et la novlangue (4).

    On le voit, le « body of work » d’UBERMORGEN ne change pas ou peu. Hans Bernhard et Lizvlx tentent d’y exercer au mieux leur esprit critique, usant de tous les médias à leur disposition afin de mettre en évidence les défauts, les hypocrisies et les dysfonctionnements qui se jouent actuellement, au niveau local, international, géopolitique et économique. Pour cela, ils examinent les usages et les normes actuelles avec distance, dans une remise en question totale des idées profondément intégrées et des comportements standardisés de la société occidentale.

     

    Maxence Grugier
    publié dans MCD #77, « La politique de l’art », mars / mai 2015

     

    www.ubermorgen.com

     

    (1) Userunfriendly, A Conversation between Edward Snowden and UBERMORGEN
    (2) www.superenhanced.com
    (3) http://vimeo.com/23060621
    (4) Userunfriendly, A Conversation between Edward Snowden and UBERMORGEN
    (5) www.carrollfletcher.com/exhibitions/19/overview/

     

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