Art Jaws Media Art fair
Variation a refermé ses portes. L’heure est donc au bilan pour l’édition 2017 de cette foire-exposition consacrée à « l’art des nouveaux médias » (media art fair) qui s’est tenue à la Galerie de la Cité internationale des arts à Paris fin novembre, sur les quais près de l’Hôtel de Ville.
Les œuvres présentées témoignaient d’un large éventail de ces pratiques artisques liées notamment aux technologies de l’information et ce que l’on nomme, par extension, l’art numérique. Comme le soulignait dans son édito Dominique Moulon, commissaire de l’exposition, ces pièces étaient proposées à travers une scénographie ouverte et propice aux dialogues improbables. Une quarantaine d’artistes voyaient ainsi leurs œuvres réparties sur les différents plateaux de la galerie.
Au détour d’installations, de dispositifs vidéos ou de reproductions photographiques, on reconnaissait une des « mosaïques temporelles » colorées du collectif LAb[au] (chronoPrints, 2009), presque déjà un « classique »; contraste absolu par rapport aux troublants amalgames de visages et lambeaux de corps générés par Grégory Chatonsky (Perfect Skin II, 2015).
Les messages lumineux de Samuel Bianchini (Enseigne [tapuscript], 2012) et Fabien Léaustic (Hello World, 2016) bousculaient le sens des mots; de même que Thierry Fournier qui joue sur l’injonction paradoxale du secret à l’heure de la surexposition sur les réseaux (Hide Me, 2017). Esmeralda Kosmatopulos jongle également avec les mots, les symboles, les signes comme l’arobase ou le dièse (#Untitled, 2013), les gestes et autres Climax (2016) attachés aux smartphones et réseaux sociaux.
Objet emblématique de notre époque, le smartphone a induit toute une série de gestuelles propre aux écrans tactiles. Des gestes que l’industrie n’a pas manqué de breveter dans une logique mercantile. À rebours, Myriam Thyes sublime la beauté du geste qui s’apparente à une caresse envers les machines (Smart Pantheon, 2016). Benjamin Gaulon alias Recyclism explose, littéralement, la représentation de soi à travers les écrans brisés des téléphones portables; proposant ainsi une sorte d’auto-portrait de l’utilisateur en gueule cassée (Broken Portraits, 2016-2017).
Changement d’environnement avec les « produits dérivés » (broderies, recherches au sol) d’Eduardo Kac; variations justement autour de l’origami 3D conçu, et réalisé en collaboration avec l’astronaute Thomas Pesquet, comme une œuvre flottante en apesanteur pour la station spatiale (Téléscope Intérieur, 2016). On citera aussi les « blocs mémoire » de Lopez Soliman qui fige dans le marbre la silhouette agrandie de cartes SD (File Genenis n.2, 2016-2017).
Dans ce dialogue improvisé, aux faisceaux laser lancés dans le ciel par Félicie d’Estienne d’Orves (Cosmographies, 2016) répondait l’étrange monolithe transpercé et brillant comme un miroir métallique aux reflets bleutés de Martin Bricelj Baraga. Baptisé Cyanometer, ce dispositif s’inspire du cyanomètre, un instrument pour mesurer la couleur du ciel développé par Horace-Bénédict de Saussure au 18e siècle. Martin Bricelj Baraga en propose une version 2.0, avec écran LCD, dans une esthétique très dépouillée, qui inclut également d’autres paramètres et mesures comme celle de la pollution.
En s’emparant des textes de William Burroughs, Pascal Dombis prolonge l’expérience du cut-up en croisant datas et algorithmes (The Limits of Control (B7), 2016). Pe Lang conçoit des objets animés. Certains alignent des anneaux ondulants sur des filins. Ils peuvent se déployer sur des panneaux de plusieurs mètres. Plus modeste en taille, celui présenté dans le cadre de Variation évoquait un boulier parcouru d’ondes magnétiques (Moving Objects, n.1751-1752). Charles Carmignac a réalisé un étrange artefact aux allures de créature aquatique avec un simple un voile de couleur turquoise en suspension dans un tube de verre (In Vitro Blue, 2016).
Enfin, dans un recoin de la galerie, on tombe nez-à-nez avec un mobile composé de tubulures et de miroirs qui tournoient. La pièce détonne parmi les autres œuvres exposées. Ses formes évoquent les années soixante. C’est le cas (Chronos X, 1969). Mais cette sculpture fait preuve d’une étonnante modernité. Temporalité, spatialité, mobilité, interactivité, lumino-dynamisme… C’est la marque de Nicolas Schöffer, pionnier de l’art cinétique et cybernétique, artiste visionnaire disparu en 1992 dont on n’a pas fini de (re)découvrir les champs d’activité. En marge, dans le cadre de la Digital Week, il était possible de visiter son atelier parisien. L’endroit semble figé dans le temps, le comble pour une œuvre en mouvement ! Sa compagne assurait la visite, partageant avec rigueur son érudition pour transmettre la mémoire d’une démarche artistique singulière, « multimédia » avant l’heure.
En parallèle, on pouvait aussi se replonger dans l’histoire récente de cette convergence des arts et des technologies qui s’est cristallisée dans les années soixante. Intitulé L’Origine du Monde (Numérique), cet aperçu photographique de projets et événements précurseurs — l’Art and Technology Program du County Museum of Art de Los Angeles en 1966 qui mettait en contact des artistes avec des grands groupes industriels; les performances 9 Evenings: Theatre and Engineering à l’origine du groupe Experiments in Art and Technology à New York en 1966 avec notamment John Cage; et l’exposition Cybernetic Serendipity organisée à l’Institute of Contemporary Arts de Londres en 1968 — permet aussi de relativiser la portée innovatrice de certaines œuvres contemporaines…
Laurent Diouf
Photos: D.R. / Variation
> http://variation.paris/