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    Christian Zanési & Jérôme Soudan

    propos croisés

    Entre Genève et Paris, une ligne acousmatique haute-tension est désormais tendue. Créée à Paris en 2005 par Christian Zanési, Directeur artistique du GRM, le festival Présences électronique a trouvé sa résonance genevoise depuis 2010, grâce à Jérôme Soudan, artiste connu sous le nom de Mimetic et co-programmateur du festival Electron. Rencontre avec ces deux porteurs d’idées sonores.

    Mira Calix @ Présences électronique Genève, 2011.

    Mira Calix @ Présences électronique Genève, 2011. Photo: © Mélanie Groley.

    Comment cette expérience de rapprochement entre Paris et Genève est-elle née ?
    Christian Zanési : D’une façon toute simple. En 2009 j’avais été invité à jouer dans le cadre du festival Electron dans une salle de L’Usine. J’en ai profité pour voir un peu ce festival et je suis allé écouter mon camarade Christian Fennesz qui passait à l’Alhambra. J’ai, à cette occasion, découvert la salle et j’ai vu qu’elle était idéale pour l’Acousmonium. J’en ai parlé à Jérôme Soudan qui, avec Emmanuelle Dorsaz, a été très réactif puisque l’année suivante s’est tenue la première édition de P.E.G.
    Jérôme Soudan : En fait, j’avais déjà joué en tant que Mimetic à Présences électronique à la Maison de la Radio en 2007, puis quelques années plus tard au 104. Mais en voyant Fennesz jouer en 2009 au théâtre de l’Alhambra, Christian m’a dit que ce serait vraiment bien d’intégrer l’Acousmonium à cette salle durant Electron. En réfléchissant, nous avons pensé qu’il serait plus opportun de faire une version Suisse du festival parisien, car, pour moi, le concept de base méritait un événement à part entière.

    Présences électronique brise les barrières entre les différents expressions musicales électroniques, en permettant à des artistes venant de la techno, de l’industriel ou de l’electronica de se frotter aux approches électro-acoustiques et acousmatiques de l’Acousmonium, comme on a pu le voir avec Wolfgang Voigt et Dadavistic Orchestra. Est-ce difficile pour ces artistes de se confronter à ces principes de spatialisation en direct ?
    Ch.Z : Je pense que ce n’est pas très difficile. Parce que finalement l’Acousmonium propose une écoute du son très naturelle. Dans la nature ou dans la vie, on est en permanence entouré de sons et l’oreille répond à cette immersion par un travail permanent et subtil de sélection. De sorte que nous sommes tous « malgré nous » des grands spécialistes de la multidiffusion. Le travail spatial du musicien consiste à diriger ou orienter cette sélection. Alors les musiciens s’adaptent très vite au système d’autant plus qu’ils sont assistés par une très bonne équipe technique. Et quand ils en on fait une fois l’expérience, ils ont envie de recommencer.
    JS : Le principe d’offrir un outil tel que l’Acousmonium, avec ses possibilités illimitées dans la restitution du son et sa diffusion dans l’espace, à des compositeurs qui n’ont pas forcément eu l’occasion de travailler en surround avant, prend tout son sens lorsque ces compositeurs/interprètes jouent le jeu. C’est parfois plus difficile pour certains que pour d’autres. L’univers de Dadavistic Orchestra s’y prêtait assez naturellement au niveau des compositions même si c’était leur premier live. Le jeu de la spatialisation a été assumé par un seul membre pendant que les autres jouaient. Pour Wolfgang Voigt c’est complètement différent, il vient d’un univers très techno minimaliste, pour un public très spécialisé, malgré des projets plus expérimentaux ou ambient [NDLR : Gas, Kafkatrax]. Cela déstabilise certains puristes. Il utilise moins la spatialisation, mais cela peut plaire à un public moins averti, qui se sent parfois lésé dans les festivals de musique « contemporaine ». Pour ma part, je n’ai pas donné les mêmes consignes et conseils à ces deux artistes. J’essaye de les accompagner quand ils apprivoisent le concept (en amont et sur place). L’aide des techniciens spécialisés du GRM est primordiale dans cet accompagnement. Et à l’arrivée, Dadavistic Orchestra et Wolfgang Voigt ont la sensation d’avoir participé à quelque chose d’unique.

    Jérôme Soudan aka Mimetic

    Jérôme Soudan aka Mimetic. Photo: D.R.

    Avec des artistes jouant directement depuis l’Acousmonium, d’autres derrière leur laptop ou choisissant une approche très scénique et brute (Erik M et FM Einheit), sans oublier des pièces du répertoire électro-acoustique (L’Œil Écoute de Bernard Parmegiani), on sent la recherche d’une certaine diversité esthétique dans les approches proposées…
    Ch.Z : Il y a effectivement la volonté de mettre dans un même programme différentes modalités musicales; c’est-à-dire différentes façons de produire ces musiques et aussi de donner aux artistes actuels une perspective historique en proposant des œuvres du répertoire.
    JS : Oui, comme le dit Christian, je partage cette recherche de diversité qui va à l’encontre des festivals de musique contemporaine actuels qui ont tendance à prêcher pour un public converti d’avance. Pour moi, un son de FM Einheit à la perceuse n’est pas si éloigné de l’esthétique de compositeurs comme Varèse ou de la philosophie de John Cage. Et un Black Dog (membre de Dadavistic Orchestra) ou un Wolfgang Voigt venant du milieu techno ont une conception du son certes moins élitiste, mais qui touche avec justesse un public actuel qui vit dans une société mixte où la spécialisation est parfois un refus d’ouverture.

    Mais il y a toujours également l’idée de découvrir de nouveaux artistes, plus spécifiquement électro-acoustiques, comme cette année à Genève deux jeunes femmes, la Néerlandaise Esther Venrooy et la Suissesse d’origine russe Olga Kokcharova…
    JS : Deux des spécificités de PEG [Présences électronique Genève], depuis sa première édition, c’est de faire une place à des compositeurs Suisses comme Olga Kokcharova, Martin Neukom ou POL, ou encore de montrer les analogies avec l’art contemporain, une récurrence à Genève où les DJs sont parfois plasticiens. Olga comme Esther viennent plus de l’univers des galeries et de l’art contemporain. Il se trouve que dans leurs installations elles font un travail très précis sur la spatialisation et il m’a paru intéressant de les inviter à jouer live sur une spatialisation qu’elles n’ont pas conçue et de s’adapter.

    Christian Zanési.

    Christian Zanési. Photo: © D. Allard / INA.

    Certains artistes ont été marqués par cette expérience acousmatique. Je pense notamment à des artistes d’obédience électronique ou rock comme Jim O’Rourke, dont la musique semble désormais évoluer de plus en plus vers les musiques électro-acoustiques…
    Ch.Z : Il y a un cas que j’aime beaucoup parce qu’il est devenu un ami, c’est celui de Robert Hampson (ex-MAIN) ou encore du duo Matmos, qui avait fait pour sa deuxième venue à Présences électronique Paris une performance en deux parties, dont la première était purement acousmatique. En fait, ce qui est commun à tous ces musiciens c’est le concept d’invention du son. Le son en tant que matière expressive et en tant que support de la structure musicale
    JS : Pour avoir joué plusieurs fois sur cet Acousmonium et invité des compositeurs à le faire, je crois sincèrement que c’est une expérience unique ! Parce que l’Acousmonium réunit à la fois la conception de Cage — comme quoi la musique électronique devient vivante lorsqu’il y a une gestuelle de l’espace — et les sensations de la techno que j’ai pu ressentir pour la première fois à Berlin dans les années 90. Sentir la musique électronique par le corps. C’est pour cela que j’essaie de développer une conception de l’Acousmonium en situation de club, comme au Zoo de L’Usine en deuxième partie de soirée. Quand on arrive à conjuguer une vraie quadriphonie avec des artistes jouant dessus comme Tim Exile, on retrouve cette sensation qui réunit le physique et le mental, et qui les associe à l’ouïe.

    À Paris, les concerts au 104 sont gratuits, à Genève il y a une continuité avec les festivités techno nocturnes en quadriphonie que Jérôme évoquait au Zoo de L’Usine. Est-ce un point essentiel de la démarche de Présences électronique ?
    JS : Je crois que là les deux versions diffèrent complètement. À Genève, PEG est géré par une association indépendante très peu subventionnée. C’est assez unique dans la démarche, car la plupart des associations de ce type font soit des festivals très expérimentaux, par exemple dans le courant de la musique improvisée, soit des événements très commerciaux pour pouvoir rentrer dans leurs frais. Pour moi, et en particulier pour la soirée du samedi au Zoo, le but est de se rapprocher le plus possible d’une version idéale d’un Acousmonium de club en deuxième partie de soirée. Le Zoo est autogéré à 100%. Il est donc primordial que le public vienne. L’Acousmonium présent l’année passée au Zoo était pour moi mal pensé pour toute la soirée jusqu’à 5h du matin. C’est pourquoi j’ai décidé ouvertement d’adapter le système en tenant compte de toutes les contraintes, financières comme esthétiques, du lieu alternatif qu’est L’Usine. Nous nous posons ouvertement la question de faire entrée libre au PEG, mais pour l’instant nous perdons de l’argent, car nous ne sommes pas du tout une institution de type « festival de musique contemporaine », mais plutôt une équipe de passionnés venant du monde alternatif de la musique électronique.

    Comment voyez-vous évoluer vos éditions de Présences électronique ces prochaines années ? Quels nouveaux défis souhaiteriez-vous relever ? Quelles améliorations aimeriez-vous apporter ?
    Ch.Z : Il y a toujours la question de « la » ou « des » salles qui est déterminante. Sinon, je crois que le concept de base est suffisamment ouvert et riche pour être décliné facilement. Si on a plusieurs salles, on peut proposer différents formats de durée. On pourrait aussi enrichir le festival — c’est une affaire de moyens — avec des Installations où les artistes questionnent le son et l’écoute. Nous sommes dans un domaine extrêmement vivace, avec de nombreux acteurs à découvrir et, à chaque nouvelle édition, je suis émerveillé par l’incroyable diversité des esthétiques et des démarches. Bref, j’ai l’impression d’être artistiquement du côté de la vie.

    propos recueillis par Laurent Catala
    publié dans MCD #80, « Panorama », déc. 2015 / fév. 2016

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