L’édition 2018 du festival Gamerz est axée principalement autour de deux expositions Master/Slave de Quentin Destieu à Marseille, et Digital Defiance, à Aix-en-Provence; ainsi que des ateliers et conférences. Exposition collective, Digital Defiance, a déjà refermé ses portes il y a quelques jours. Comme son titre l’indique, cette manifestation rassemblait des œuvres critiques envers la technologie envahissante et la redéfinition de notre appréhension du monde par le numérique.
Des Territoires recomposés de Géraud Soulhiol qui utilise des clichés de Google Earth en les morcelant et en les réagençant pour nous faire découvrir une cartographie imaginaire, aux gisants qui se mettent à léviter sous l’effet d’animations gérées par Harm van den Dorpel (Resurrections), en passant par les puzzles de Caroline Delieutraz qui invitent à voir différemment des tableaux (Sans Titre (La Tour de Babel)) ou des images satellites (Kamil Crater), et l’énigmatique objet sonore conçu par eRikM qui restitue de manière aléatoire des bribes de codes utilisés par les soldats amérindiens Choctaw durant la Première Guerre mondiale (La Borne) : ce panorama offrait de multiples points de vue sur cette reconfiguration, voire transfiguration, du monde et la « défiance » que cela suscite, avec en point d’orgue la Salle de brouillage de Julien Clauss. Une installation basée sur une trentaine de micro-émetteurs radio plaqués sur des plaques de cuivre et prolongés de câbles accrochés dans une salle blanche et dépouillée de la Fondation Vasarely où se tenait cette exposition. Balayant le spectre de la bande FM, les spectateurs-auditeurs pouvaient s’amuser à en capter quelques échos (bribes de conversation, interférences, bruits parasites, etc.) grâce à de petits transistors. Lors de la performance donnée pour le vernissage, Julien Clauss a joué avec cet entrelacs d’ondes invisibles, renforcé par un synthé modulaire qui apportait quelques modulations supplémentaires.
Dans cet esprit de mise en question des technologies, Quentin Destieu présentait de nombreuses pièces à Art-Cade, la Galerie des Grands Bains Douches à Marseille à deux pas du fameux mur de La Plaine… Intitulée Master/Slave, cette exposition se prolonge jusqu’au 15 décembre. Au travers de certaines œuvres, on imagine que la grande catastrophe numérique a déjà eu lieu. Ainsi avec les étranges mannequins qui portent les stigmates de bugs informatiques, matérialisation d’un Maraboutage 3D qui s’incarne aussi sous la forme d’une poupée vaudou hérissée d’aiguilles à l’effigie de Bre Pettis; personnage peu scrupuleux et vénal qui a breveté les principes de l’imprimante 3D développés par la communauté open-source pour en faire l’exploitation commerciale. Quentin Destieu s’est également amusé à fondre les composants d’un ordinateur pour en extraire de quoi fabriquer des outils primitifs (pointes de flèches, couteau, etc.) qui semblent sortir d’une deuxième préhistoire (Refonte, Gold revolution, Opération pièces jaunes). Le sarcophage qui renferme une réplique agrandie du premier micro-processeur — le seul à avoir été dessiné de la main de l’homme — renforce cette sensation d’immersion dans un futur antérieur où règne une « techno-primitive » (À cœur ouvert). Mais le dispositif le plus futuriste et humoristique est sans aucun doute ce dispositif qui permet à un poisson rouge, grâce à des capteurs, de se ballader dans son aquarium placé sur une petite plateforme robotisée (Machine 2 Fish) !
Laurent Diouf
Master/Slave, exposition de Quentin Destieu dans le cadre du festival multimédia Gamerz, à la Galerie des grands Bains-Douches à Marseille jusqu’au 15 décembre.