Cette exposition a été présentée dans le cadre de la biennale Nemo, mais se poursuit jusqu’au 19 avril au Centre Culturel Canadien à Paris. Conçue par Alain Thibault et Dominique Moulon en association avec Catherine Bédard, En d’infinies variations regroupe des créations et installations interactives qui interrogent la notion de série dans l’art.
C’est évidemment au XIXe siècle, celui de la révolution industrielle, qu’un tel concept commence à s’incarner dans le champ artistique. La reproduction mécanique puis les technologies du numérique ont décuplé les possibilités de décliner une œuvre en une infinie de variations. Plus récemment, les dispositifs, capteurs, logiciels et algorithmes qui président à un semblant d’intelligence artificielle donnent encore plus de proximité à ces déclinaisons qui se démultiplient désormais au travers de vidéos, animations générées en temps réel, processus itératifs, réalité augmentée, installations interactives…
La déambulation au sein de cette exposition commence par une confrontation avec les étranges autoportraits de Chun Hua Catherine Dong. Cinq photographies, cadrées au niveau du buste, avec le visage masqué par les imprimés de tissus brodés chinois. Extraits de la série photographique Skin Deep, ces portraits symbolisent la culture de la honte si prégnante dans de nombreux pays asiatiques. Ce sentiment opère comme un véritable outil de contrôle social. On peut aussi « regarder » ces portraits avec un smartphone : une application mobile permet de libérer les messages visuels et animés qui sommeillent à la surface de ces visages privés intentionnellement d’identité.
En regard, si l’on ose dire, les sculptures de Nicolas Sassoon mêlent le minéral (pierre volcanique en guise de socle) et le multimédia (écran LCD sur lequel défilent des animations pixellisées évoquant des coulées de lave). Baptisée The Prophets, cette série de sculptures se présente comme une interface poétique entre la technologie informatique et les forces géologiques. L’informatique est également au centre des tentures d’Oli Sorenson. Les motifs de ces tapisseries, qui ne sont pas sans évoquer certains tissus africains et sud-américains, représentent des cartes SIM et des puces électroniques. Logique, en un sens, puisque les métiers à tisser Jacquard furent, au tout début du XIXe siècle, les premières machines programmées et programmables grâce à des cartes perforées.
Avec sa boîte noire (Black Box), Nicolas Baier nous donne à « ne pas voir » la réplique complète en impression 3D de l’intérieur d’une tour d’ordinateur. Toutes les pièces et composantes ont été reproduites, mais elles sont cachées à l’intérieur du boîtier qui trône comme un monolithe. Une allégorie qui pointe notre foi aveugle en l’informatique et notre ignorance (du moins, pour la plupart d’entre nous) du fonctionnement interne d’un ordinateur. Leurs radiographies ne nous en apprennent pas plus, malgré le rajout d’acide polylactique. Les traces jaunes de ce polymère qui colonise ces clichés font penser à organisme unicellulaire genre blob (Réplications). Cette « confrontation » entre le technologique et le biologique est sublimée dans une vidéo aux reflets d’or, pleine de transparence, de bruits organiques et industriels, qui combine des vues séquencées du studio de Nicolas Baier envahit de machines et des travellings sur des forêts (Vases Communicants).
Les panneaux de George Legrady sont aussi le résultat d’un enchevêtrement d’images. À la base, ce sont de vieilles photographies noir et blanc. Dupliqués des dizaines de fois, ces clichés sont ensuite disposés dans un espace 3D virtuel, sans que leur agencement laisse deviner ce qu’ils représentent. Ils forment une multitude de traits et l’ensemble à l’apparence d’une plaque de métal brossé (Anamorph-Lattice). Les vidéos de Salomé Chatriot présentent aussi des formes enchevêtrées. Celles-ci sont générées à partir du souffle de l’artiste lors de performances interactives (Breathing Patterns). Autre dispositif interactif : People on the Fly de Christa Sommerer & Laurent Mignonneau. Là, ce sont les spectateurs et non pas les artistes qui mettent en mouvement un essaim de mouches qui englobe leurs silhouettes sur écran : lorsqu’une personne bouge, des centaines de mouches artificielles l’entourent en quelques secondes, mais lorsqu’elle reste immobile, les insectes s’envolent.
Laurent Diouf
En d’infinies variations
> cette exposition s’inscrit dans le cadre de Nemo – Biennale internationale des arts numériques
> commissaires d’exposition : Dominique Moulon & Alain Thibault en collaboration avec Catherine Bédard
> du 7 décembre au 19 avril, Centre Culturel Canadien, Paris
> https://canada-culture.org/event/en-dinfinies-variations-2/