Ten Years After
Au fil des ans Electron a su conserver son ambiance conviviale et sa programmation éclectique, se préservant ainsi de la démesure de certains évènements qui n’ont plus qu’une vision comptable comme raison d’être… C’est ainsi que le Festival des cultures électroniques de Genève a franchi avec panache le cap des 10 ans d’existence en mars dernier; marquant à la fois la fin d’un cycle et le point de départ de nouvelles aventures…
Par une sorte de mise en abîme, cette édition 2013 accueillait le fameux label Kompakt qui célèbre pour sa part son 20ème anniversaire en sur-multipliant sa présence dans de nombreux clubs et festivals around the world. Cette étape genevoise proposant d’entrée de jeu, le jeudi soir, un plateau de choix avec Mohn, Sascha Funke et sa deep-tech à la fois charpentée et saccadée, ronde et cliquetante, Justus Köhncke imposant du chant en rupture de tonalité avec l’attente du public, Saschienne et Gui Boratto en point d’orgue. Rappelons le pour les béotiens (il y en a toujours qui traînent…), Kompakt a été créé à Cologne par Michael Mayer, Jürgen Paape et Wolfgang Voigt (alias Gas) sur les cendres d’un magasin de disque (Delirium) et a su popularisé la minimal-techno et les interludes « pop-ambient » chers à la scène allemande. Outre ses activités de booking et de distribution quasi-hégémonique en la matière, l’enseigne a conservé une section dédiée à la vente (physique et en ligne). Il était donc logique de recréer pour l’occasion un « fac-similé » du magasin avec la quasi-totalité des références du label disponible en vinyl et/ou CD, dans l’enceinte de L’Usine (le Centre Autogéré qui fait office de vaisseau-mère pour le festival). Une initiative qui nous a permis d’admirer une mosaïque de pochettes dans un décor à l’allemande (i.e. plutôt roots et rough, éloigné de tout design high-tech…) en écoutant les dernières productions tout en sirotant une bière gracieusement offerte par les tauliers…!
S’étant attardé aux premiers sets de la soirée Kompakt, on entreprend tardivement de se diriger vers La Gravière — épicentre du versant « bass-music » de la programmation d’Electron 2013 — où le Trojan Sound System à poser ses caissons. La route nous semble longue et hasardeuse pour des raisons indépendantes de notre volonté… Pris d’un doute, on cherche en vain quelques silhouettes dans la pénombre. En toute autre ville, ce périple le long d’un chemin sombre et escarpé en bordure de l’Arve (affluent du Rhône) se révèlerait un brin anxiogène. Mais c’est oublié que l’on est à Genève… Pas de (kernel) panique. On fini par voir se profiler une ombre mouvante : c’est une charmante pitchoune en vélo nous confirme que, oui, c’est bien par là que ça se passe… Une dizaine de mètres plus loin, les premières pulsations d’une basse pachydermique dissipent nos dernières appréhensions. Nous pénétrons ensuite dans la petite salle aux murs suintants, en priant pour ne pas être victime d’un décollement de la plèvre tant les fréquences distillées par les murs d’enceintes sont à couper le souffle. Mais hélas, trois fois hélas, nous arrivons trop tard pour cette entreprise de dubisation massive, lointaine dérivée de l’antique label Trojan… D’autres formations ont pris le relais. Nous reviendrons néanmoins rôder sur les lieux les jours suivants pour écouter notamment OBF + Mungo’s HiFi et surtout The Bug — aka Kevin Martin — en compagnie de Daddy Freddy pour un set de combat (sono à décorner un bœuf et déco camouflage tendance free party…).
D’autres figures de légende étaient également conviées pour cette cuvée 2013 : à l’instar de plusieurs festivals, depuis quelques saisons Electron réveille la fibre des défuntes années 80s… Ainsi Daniel Miller, fondateur du label Mute, a assuré une sélection techno-pop-synth bien actuelle, tandis que le duo Kas Product, de nouveau en selle avec un son plus ample et rond, a rejoué ses titres-phares (« One of a kind », « Never come back », « So young but so cold », « Loony-Bin », etc.) devant un public transgénérationnel… En comité plus restreint, Genesis P-Orridge (Psychic TV, etc.) — qui après avoir ressemblé à une vieille Anglaise indigne a désormais des allures de Bavaroise fatiguée — parle de son amour disparu dont on n’est vraiment pas sûr qu’il/elle se remettra un jour… Une conférence placée sous le signe de la pandrogénie et agrémentée de visuels qui ne nous épargnent rien des boucheries successives que ce couple infernal s’est infligées. Intitulé S/He is (still) her/e : the pandrogeny project of Breyer P-Orridge, cette « explication de texte » s’avère être un excellent complément au film de Marie Losier, The Ballad Of Genesis and Lady Jaye. Quelques heures plus tard, malgré un rhume carabiné, Genesis P-Orridge monte sur scène en compagnie de son fidèle servant Bryin Dall à la guitare et aux machines pour des lectures de textes sur fond noisy, ravivant son projet Thee Majesty.
Autre conférence à laquelle nous avons assistée, celle de Mandrax. Pionnier de la scène house, revenu en Helvétie après un long exil new-yorkais à l’orée des années 90, il prouve que musique électronique est aussi « une histoire suisse »… Diffusant en préambule le morceau précurseur, si ce n’est visionnaire, de Manuel Göttsching, « E2-E4 » pour hypnotiser son auditoire, il démêle de manière très pédagogique l’écheveau des influences, courants et artistes qui ont forgé la techno et consorts, tout en pointant le contexte social dans lequel ils ont émergé. Après ce cours magistral, rien de tel qu’une pause dans le Chill-Out. Un espace conçu comme une installation, à la fois lieu de relaxation, d’écoute et de performance (matelas, visuels et cristaux compris), assurant la continuité du festival (24/24h) au moment où les autres salles fermaient. Proposé en référence aux chill-out des raves, ces espaces intemporels et surtout hors rythmiques qui ne subsistent plus que dans les rassemblements de la mouvance trance, cet endroit hébergeait une exposition qui rassemblait, entre autres, des œuvres de Sylvie Fleury et Jacques Perconte, ainsi que des archives des Merry Pranksters (prototype absolu des travellers…). L’écrin idéal pour écouter Sogar et sa musique minimaliste et cérébrale.
On regrette d’ailleurs que la part des musiques post-industrielles et expérimentales soit moins conséquente qu’à l’époque où Electron réquisitionnait le Théâtre de l’Alhambra niché au pied de la vieille ville. Il est vrai que l’équipe du festival s’occupe aussi de Présences Électroniques Genève, version suisse du festival parisien de l’INA-GRM qui concentre toutes ces autres facettes de la musique électroniques. Qu’importe, en ce week-end pascal notre soif de décibels est plus forte. Nous délaissons un peu les propositions péri-musicales (danse, ateliers, projections et dégustations), pour nous concentrer sur les multiples lives et DJ-sets à l’affiche de la programmation pléthorique. Parmi les nombreux intervenants, nous retiendrons en particulier le marathon de Theo Parrish, les extravagances sonores de Murcof, le classicisme de Rubin Steiner et LFO en version 2.0. très abrasif. Pour le versant techno : Derrick Carter, Attaque, Anja Schneider et Deepchild, roboratif et efficace. Plus transversal : Tiga, Kenny Dope plutôt old school et brouillon, Mimetic avec un live elektro-breakbeat très acéré. Au rayon drum-n-bass, citons TC dont on regrettera l’omniprésence du MC; tout comme pour le tandem Calix & Teebee et Loadstar — bien qu’un ton en dessous. Enfin, dans un genre voisin, aux consonances dubstep clairement revendiqué, on préférera Shackleton et, palme d’or, Mala In Cuba dont la combinaison breakbeat & bass / percus latino est vraiment détonante. La suite dans quelques mois…
Laurent Diouf
publié dans MCD HS#08, cultures numériques live, octobre 2013